A l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage, La France périphérique, le géographe Christophe Guilluy nous explique comment la mondialisation a bouleversé l’organisation de l’espace français. Extrait.
LE FIGARO – Vous critiquez un amalgame entre milieux populaires et banlieues. Pourquoi?
Christophe GUILLUY – La focalisation sur le «problème des banlieues» fait oublier un fait majeur: 61 % de la population française vit aujourd’hui hors des grandes agglomérations. Les classes populaires se concentrent dorénavant dans les espaces périphériques: villes petites et moyennes, certains espaces périurbains et la France rurale.
En outre, les banlieues sensibles ne sont nullement «abandonnées» par l’État. Comme l’a établi le sociologue Dominique Lorrain, les investissements publics dans le quartier des Hautes Noues à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) sont mille fois supérieurs à ceux consentis en faveur d’un quartier modeste de la périphérie de Verdun (Meuse), qui n’a jamais attiré l’attention des médias.
Pourtant, le revenu moyen par habitant de ce quartier de Villiers-sur-Marne est de 20 % supérieur à celui de Verdun. Bien sûr, c’est un exemple extrême.
Il reste que, à l’échelle de la France, 85 % des ménages pauvres (qui gagnent moins de 993 € par mois, soit moins de 60 % du salaire médian, NDLR) ne vivent pas dans les quartiers «sensibles». Si l’on retient le critère du PIB, la Seine-Saint-Denis est plus aisée que la Meuse ou l’Ariège. Le 93 n’est pas un espace de relégation, mais le cœur de l’aire parisienne.
L’État prend conscience – avec retard – de cette réalité. Début 2014, le gouvernement a réorienté la politique de la ville pour prendre également en compte la France des sous-préfectures.
Confrontées à la flambée des prix dans le parc privé, les catégories populaires, pour leur part, cherchent des logements en dehors des grandes agglomérations. En outre, l’immobilier social, dernier parc accessible aux catégories populaires de ces métropoles, s’est spécialisé dans l’accueil des populations immigrées.
Le Figaro – Comment expliquer que les catégories populaires (ouvriers, employés) et les classes moyennes inférieures (artisans et une partie des commerçants) aient déserté les métropoles?
C. Guilluy – Le marché foncier crée les conditions d’accueil des populations dont la ville a besoin. En se désindustrialisant, les grandes villes ont besoin de beaucoup moins d’employés et d’ouvriers mais de davantage de cadres. C’est ce qu’on appelle la gentrification des grandes villes, symbolisée par la figure du fameux «bobo», partisan de l’ouverture dans tous les domaines. Confrontées à la flambée des prix dans le parc privé, les catégories populaires, pour leur part, cherchent des logements en dehors des grandes agglomérations.
En outre, l’immobilier social, dernier parc accessible aux catégories populaires de ces métropoles, s’est spécialisé dans l’accueil des populations immigrées. Les catégories populaires d’origine européenne et qui sont éligibles au parc social s’efforcent d’éviter les quartiers où les HLM sont nombreux.
Elles préfèrent déménager en grande banlieue, dans les petites villes ou les zones rurales pour accéder à la propriété et acquérir un pavillon. On assiste ainsi à l’émergence de «villes monde» très inégalitaires où se concentrent à la fois cadres et catégories populaires issues de l’immigration récente. Ce phénomène n’est pas limité à Paris. Il se constate dans toutes les agglomérations de France (Lyon, Bordeaux, Nantes, Lille, Grenoble), hormis Marseille.
(L’intégralité de l’interview est à lire dans le Figaro du 12 septembre)
Merci à BAYGON