350 000 offres d’emploi ne trouveraient pas preneurs selon le ministre du Travail. Un chiffre qui alimente le discours sur la fraude bien qu’il ne repose sur aucune étude rigoureuse.
« En France, 350 000 emplois ne trouvent pas preneurs ». François Rebsamen, ministre du Travail, a repris à son compte une vieille polémique. Il y aurait donc en France un vivier d’emplois délaissés par des chômeurs plus prompts à vivre de l’assistanat qu’à rechercher activement un travail.
350 000 pour la rue de Grenelle, 400 000 pour le Medef, 500 000 pour Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle 2012, et même 600 000 pour certains journalistes : les emplois non pourvus suscitent fantasmes et envolées peu rigoureuses. Le chiffre avancé par François Rebsamen est d’autant plus surprenant que François Hollande lui-même reconnaissait l’an dernier que « personne n’a la véritable statistique ». Comment l’expliquer ?
Il faut tout d’abord distinguer les concepts d’emplois « vacant » et d’offres « non pourvues » trop souvent confondus. Eurostat définit un emploi vacant (traduction de l’anglais vacancy) comme un poste « nouvellement créé, non pourvu ou qui deviendra vacant sous peu et que l’employeur veut pourvoir immédiatement ou dans un délai déterminé ». D’une part, il existe un délai incompressible qui correspond à la phase de recrutement. D’autre part, difficile pour un chômeur d’occuper « un poste qui deviendra vacant sous peu ».
Ces vacances d’emploi sont « mal définies et mal évaluées » selon une étude du Centre d’études de l’emploi. Yannick Fondeur et Jean-Louis Zanda, les deux auteurs, écrivent ainsi que « les vacances d’emploi correspondent […] à la photographie d’un stock d’emplois à pourvoir. […] Comme en France une trentaine de millions de nouveaux contrats de travail sont conclus chaque année, il est naturel qu’on observe à un instant donné un grand nombre d’emplois vacants. »
Contrairement aux idées reçues, un pays qui affiche un taux d’emplois vacants élevé ne signifie pas qu’il est peuplé de chômeurs fainéants mais qu’il crée beaucoup d’emplois. C’est ce qu’enseigne d’ailleurs la courbe de Beveridge, qui illustre les écarts entre les besoins des employeurs et les souhaits des demandeurs d’emploi. C’est encore ce que confirment les dernières données fournies par Eurostat.
Le taux d’emplois vacants (c’est-à-dire le nombre d’emplois vacants rapporté au nombre d’emplois total) au premier trimestre 2014 en France était bien inférieur à la moyenne européenne. Autrement dit, si le taux de chômage est si élevé dans l’Hexagone, c’est parce qu’il n’y a pas d’emplois à occuper, et non parce que les chômeurs n’en cherchent pas. Le Portugal, l’Italie, l’Espagne et la Grèce sont dans la même situation. A l’inverse, l’Allemagne a, logiquement, le taux d’emplois vacants le plus élevé d’Europe.
Les emplois vacants ne disent cependant rien des difficultés de recrutement. Pour les estimer, il faut se tourner vers la notion « d’emplois non pourvus », ces offres d’emploi qui ont été retirées sans donner lieu à un recrutement. Pôle emploi qui collecte bon an mal an 3 millions d’offres évalue à 116 000 le nombre d’offres qui n’ont pas trouvé preneur faute de candidats. Soit 4 % des offres au total. Certes, l’opérateur public ne couvre que 38 % des offres d’emploi en France. Faut-il pour autant extrapoler sur les offres restantes et tenter d’additionner les offres non pourvues des RegionsJob, Qapa.fr et autres Lebon coin.fr ? Rien n’est plus hasardeux notamment parce qu’une même offre peut être publiée sur différents sites, surtout depuis l’émergence des réseaux sociaux.
Au regard des 3,4 millions de chômeurs de catégorie A (près de 5 millions pour les catégories A,B et C), le volume d’offres non pourvues reste donc très faible. Si, par bonheur, l’ensemble de ces offres trouvaient preneurs, elles ne parviendraient pas à faire baisser significativement le chômage de masse.
Ce qui ne signifie pas qu’il faille se détourner du problème. D’autant que les raisons qui l’expliquent sont clairement identifiées. Ce n’est pas parce qu’un poste existe qu’il peut être immédiatement occupé par n’importe quel chômeur. C’est notamment le cas des métiers en tension comme l’informatique ou les transports qui peinent à trouver des profils qualifiés. L’appariement entre offre et demande reste complexe. François Rebsamen a reconnu qu’il y avait un problème « d’adéquation », les emplois proposés ne correspondant pas forcément aux compétences des demandeurs d’emplois. Pour résoudre cet écueil, le gouvernement a lancé deux plans successifs de 30 000 puis de 100 000 « formations prioritaires». « Fin 2013, l’objectif a été dépassé puisque 39000 inscriptions ont été enregistrées grâce au plan. Et au 31 juillet 2014, 57 263 formations supplémentaires étaient recensées dans les domaines du transport, de l’industrie ou des services à la personne », explique-t-on rue de Grenelle. Confiant sur l’objectif à atteindre et sur les premiers résultats qualitatifs – 6 mois après leur sortie du dispositif, 65% des chômeurs formés occupent un emploi -, le ministère du Travail n’a pas encore mesuré l’impact de ces initiatives sur le flux de 20% de demandeurs d’emploi qui entrent en formation chaque année. Un bilan de la Dares devrait y répondre prochainement.
Si certains postes ne trouvent pas preneur, c’est aussi en raison de la qualité des emplois proposés : horaires atypiques, temps partiels, faibles salaires, conditions de travail, éloignement géographique… Le déficit d’image dont souffrent certains secteurs comme l’hôtellerie, les métiers de bouche ou encore la métallurgie explique ce manque d’intérêt. Tout comme les exigences des employeurs en quête du candidat expérimenté parlant cinq langues pour un salaire de débutant. Enfin, il existe aussi en effet une minorité de demandeurs d’emploi qui ne recherchent pas activement un emploi.
Mais axer le discours sur les fraudeurs, mettre la pression sur les chômeurs et « renforcer les contrôles pour vérifier que les gens cherchent bien un emploi» comme le demande François Rebsamen ne peut pas apporter de réponse satisfaisante au problème des offres non pourvues. Sans compter que les sanctions existent déjà… Pôle Emploi peut radier les chômeurs pour une dizaine de motifs différents dont le refus de deux « offres raisonnables d’emploi » consécutives.
Des expérimentations sont également en cours dans plusieurs agences de la région Paca, de Poitou-Charentes, de Basse-Normandie et de Franche-Comté pour renforcer les contrôles. Depuis le lancement de l’opération à Manosque et Toulon à l’été 2013, seuls 6,5 % des contrôles ont débouché sur une radiation de 15 jours selon Le Monde.
Contrôler les chômeurs et lutter contre la fraude est légitime mais jeter le discrédit sur l’ensemble des chômeurs et mettre en lumière la fraude sociale alors qu’elle est très faible comparée à la fraude fiscale (voir graphique ci-dessous) provoque davantage de débats que de réels impacts positifs pour l’économie.
La fraude à Pôle emploi ne représentait en 2012 que 0,84 % de la totalité de la Fraude en France. Ouvrir un autre front, celui des cohortes de demandeurs découragés qui ne s’inscrivent plus sur les listes, voire celui du taux de non recours aux allocations chômage (voir travaux de l’Odenore) serait plus éclairant.
Selon une enquête de la Dares de 2006, 12% des inscrits à Pôle Emploi (l’ANPE à l’époque) avaient des droits ouverts à l’indemnisation sans toutefois percevoir d’allocation. Un chiffre moins repris que les 350 000 offres non pourvues.