Huile de palme, soja, bœuf, bois… Le commerce mondial est un puissant moteur de la déforestation illégale dans les pays tropicaux. Pour la première fois, une vaste étude, publiée, mercredi 11 septembre, par l’organisation américaine Forest Trends, évalue l’ampleur du phénomène: près de la moitié de la déforestation dans les pays tropicaux s’explique par la conversion illégale de terres en exploitations agricoles à vocation commerciale.
Dans un cas sur deux, la production est destinée à satisfaire la demande des grands pays industrialisés – États-Unis, Union européenne –, mais aussi de la Chine et de l’Inde.
Quelque 25 % de la déforestation illégale dans les tropiques ont ainsi pour objectif la production de denrées exportables. « Nous savions que la production de matières premières agricoles était un facteur majeur de déforestation.
Cependant, c’est la première étude qui montre l’importance démesurée des activités illégales pour produire des centaines de produits alimentaires et ménagers consommés dans le monde entier», affirme Michael Jenkins, directeur général de Forest Trends. Au point qu’il « n’existe guère de produit sur les rayons des supermarchés qui ne soit pas potentiellement concerné », selon Forest Trends.
Trafic de licences
Le Brésil et l’Indonésie sont les deux principaux pays concernés par ce commerce illégal. Selon l’étude intitulée « Biens de consommation et déforestation » et dont les chiffres sont fondés sur des violations documentées des droits fonciers, 90 % de la déforestation survenue au Brésil entre 2000 et 2012 étaient illégaux, en grande partie en raison de l’incapacité à conserver un pourcentage de forêts naturelles au sein de grandes exploitations de bétail et de soja comme l’exige la loi brésilienne.
En Indonésie, 80 % de la déforestation se seraient produits en violation de la loi pour produire de l’huile de palme, dont près des trois quarts sur les marchés d’exportation.
Mais au-delà de ces deux géants, le phénomène est latent dans la plupart des pays, affirment les auteurs de l’étude. Accaparement illicite de surfaces dans les aires protégées, violation des droits fonciers des populations autochtones, trafic de permis de défrichement…, les méthodes frauduleuses utilisées pour s’approprier de nouvelles terres sont multiples.
« Partout sous les tropiques, des entreprises soudoient des agents publics pour obtenir des permis, bafouant les droits légaux ou coutumiers des peuples autochtones et d’autres populations forestières, déboisant des forêts au-delà de ce qui est autorisé et occasionnant une pollution et des dégâts environnementaux en faisant fi de la loi », affirme Sam Lawson, qui a coordonné l’enquête.
En Bolivie, le soja remplace la forêt
En Papouasie-Nouvelle-Guinée, des millions d’hectares de forêts ont pu être récemment convertis en terres agricoles grâce à de fausses licences accordées par des fonctionnaires corrompus, selon les conclusions d’une enquête parlementaire citée par le rapport.
Dans le bassin du Congo, où les projets de plantations se multiplient pour la production d’huile de palme, la violation des règlementations et des droits des populations autochtones est rapportée dans plusieurs pays. Au Cameroun, le plus vaste projet de plantation de palmier à huile baptisé Héracles, est entaché d’illégalités avérées.
En Colombie, au Pérou, la destruction de la forêt s’aggrave pour servir cette économie grise destinée à l’exportation. En Bolivie, le soja (dont 75 % sont exportés) est le principal facteur de déforestation illégale dans la partie amazonienne du pays.
Un marché de 60 milliards de dollars
Au total, l’enquête, qui a été menée dans les vingt pays tropicaux où la disparition de la forêt est la plus massive, estime que près de 40 % de l’huile de palme, 20 % du soja, près de 33 % des bois tropicaux et 14 % des bœufs échangés sur les marchés mondiaux proviennent de terres illégalement déboisées. Ces échanges représenteraient un montant de plus de 60 milliards de dollars (46,5 milliards d’euros) par an, selon Forest Trends.
Les démarches volontaires engagées par des grandes multinationales pour assainir leurs chaînes d’approvisionnement en adhérant, par exemple, à l’initiative « zéro déforestation » sont jugées utiles mais insuffisantes par Forest Trends, qui estime qu’il est de la responsabilité des États de faire respecter la loi.
Les pays importateurs doivent, selon l’organisation non gouvernementale, renforcer leurs réglementations pour s’assurer que les produits qu’ils consomment ne précipitent pas la disparition des forêts tropicales. Forest Law for Enforcement, Governance and Trade (FLEGT), la réglementation européenne sur l’importation de bois tropicaux, mériterait, pour l’ONG, d’être étendue à d’autres produits agricoles.