Crise du système bancaire, bulle immobilière, ralentissement de l’activité… L’économie chinoise est-elle aussi solide qu’affichée, et peut-elle évoluer vers un modèle davantage fondé sur la consommation intérieure que sur les exportations ? Mylène Gaulard, économiste, qui vient de publier “Karl Marx à Pékin” (éd. Demopolis), répond.
Pékin prépare un nouveau plan de relance pour soutenir son économie. La banque centrale chinoise va accorder un montant total de 500 milliards de yuans (62,8 milliards d’euros) de liquidités aux cinq principales banques du pays, relevait le Wall Street Journal, mardi 16 septembre. Mylène Gaulard, maître de conférences en économie, décrypte pour La Tribune les remises en questions de la Chine sur son système économique et les origines de ses difficultés.
La Tribune : Les plans de relance successifs sont-ils les signes d’un essoufflement de l’économie chinoise?
Mylène Gaulard : Ces plans de relance, mis en place par les autorités publiques, sont les réponses au ralentissement de l’économie chinoise. Depuis le fameux plan de 500 milliards de dollars de 2008, en pleine crise internationale des “subprimes”, le gouvernement chinois s’inquiète sérieusement de ce fléchissement, avec une croissance du PIB qui était supérieure à 9% jusqu’en 2011 pour n’atteindre plus que 7,7% en 2012 et 2013.
Depuis l’été 2014, de nouveaux chiffres ne cessent de tomber, pour mettre en évidence un ralentissement de la production industrielle et des ventes au détail, pour une croissance du PIB inférieure à 7,5% prévue pour l’année 2014. Afin de limiter l’ampleur de ce ralentissement, l’objectif numéro 1 du gouvernement est d’encourager le développement de l’infrastructure nationale, avec ces dernières années un essor important du secteur ferroviaire et de la construction immobilière. Il cherche également à stimuler la consommation des ménages afin que le pays devienne moins dépendant des exportations.
Les 500 milliards de yuans de liquidités offertes aux 5 grandes banques commerciales sont dans le droit prolongement du prêt accordé par la Banque centrale à la China Development Bank en juillet dernier. Il ne s’agit pas tant ici de relancer l’économie que d’éloigner les risques de crise du système bancaire. Depuis le milieu de l’année 2013, ce secteur se confronte à de sérieuses crises de liquidité, avec des montées très dangereuses des taux de refinancement interbancaires.
La Chine veut-elle passer d’un modèle basé sur les exportations à un modèle reposant sur la consommation?
Oui. La Chine veut incontestablement passer à un modèle reposant davantage sur la consommation (les fameux “rêve chinois”, ou bien “société harmonieuse” évoqués par les autorités), mais elle ne le pourra pas forcément. La volonté des autorités serait que le pays dépende moins de ses exportations en élargissant la taille du marché intérieur. En considérant que la consommation des ménages ne correspond qu’à 35% du PIB, l’un des taux les plus bas au monde, alors que l’investissement frôle les 50% du PIB, il risque effectivement d’y avoir un problème si les exportations ne sont plus suffisantes pour absorber la production excédentaire.
Or, depuis 2007, l’excédent commercial ne cesse de chuter, et n’atteint que 3% du PIB en 2013, contre 9% en 2007. Il y a un ralentissement économique international, et une hausse du coût de la main-d’œuvre chinoise, cela pèse sur la compétitivité de ses exportations. Il est impératif de pouvoir compter davantage sur la demande intérieure. D’où la réforme du système de protection sociale menée depuis le début de la décennie 2000, la hausse des salaires et notamment celle du salaire minimum, ainsi que les encouragements divers du gouvernement en faveur de l’activité économique interne.
Toutefois, il n’est pas certain que cela soit suffisant. De nombreux secteurs d’activités sont de plus en plus confrontés à des problèmes de surproduction, et surtout à des capacités de production oisives atteignant parfois 50% de l’ensemble des capacités. On peut craindre que l’augmentation des salaires ne pèse encore plus sur la compétitivité internationale de l’appareil productif chinois, et qu’une partie de l’activité encouragée aujourd’hui ne soit purement spéculative (cas de la bulle immobilière).
Justement, y a-t-il un risque d’éclatement de la bulle immobilière chinoise ?
Oui, elle risque d’éclater bientôt, d’où l’intérêt pour les autorités de maintenir le système bancaire sous perfusion. Les prix de l’immobilier sont passés d’une moyenne de 600 euros par mètre carré en 2000 dans une ville comme Pékin, à plus de 2000 euros en 2013.
Cela fut permis par un essor spectaculaire des crédits bancaires (crédits accordés aussi bien par les banques officielles que par la finance informelle, le “shadow banking”), avec des prêts au secteur privé susceptibles d’être bien supérieurs à 200% du PIB.
Or, depuis la fin de l’année 2013 pour l’immobilier commercial et le début de l’année 2014 pour l’immobilier résidentiel, on observe un début de baisse des prix (avec 500 millions de mètres carrés de surface vacante, attendant d’être vendue, sur l’ensemble du territoire, il était évident que la hausse des prix, reposant un phénomène massif de spéculation, ne pouvait pas durer), marquant peut-être les débuts d’un éclatement extrêmement dangereux de cette bulle.
Un éclatement dangereux, car l’investissement immobilier représente 15% du PIB de la Chine, et de nombreuses entreprises et collectivités locales ayant beaucoup reposé ces dernières années sur ce secteur risqueraient de voir leurs problèmes de surendettement révélés au grand jour.
Dans votre livre “Karl Marx à Pékin”*, vous expliquez que “la formidable croissance de la Chine la mène à cette crise inévitable” car “depuis 1949, sous l’étendard d’un socialisme usurpé, le capitalisme et son cortège de contradictions s’y renforcent toujours plus.” Que voulez-vous dire?
La Chine n’a jamais présenté de caractéristiques “socialistes”. La prise de pouvoir du parti “communiste” en 1949 n’a servi qu’à stimuler une sorte d’accumulation primitive, avec un développement massif de l’industrie et les débuts du processus d’urbanisation. Ce n’est qu’en 1979 que l’ouverture s’est effectuée, car le marché pouvait alors se passer progressivement de l’aide de l’État. L’Europe de l’Ouest a d’ailleurs connu un développement similaire de son mode de production capitaliste dès le XVe siècle, même si j’insiste dans mon livre sur les caractéristiques de la Chine, et notamment sur son “mode de production asiatique”.
Or, des économistes aussi différents qu’Adam Smith, David Ricardo, Malthus, Sismondi et Karl Marx, montraient bien dès les XVIIIe et XIXe siècles, que ce mode de production était soumis à de profondes contradictions, qu’il s’agisse d’une baisse de la productivité du capital (en gros, il faut investir de plus en plus dans des biens d’équipement pour dégager de moins en moins de profits), ou de la déconnexion croissante entre l’offre et la demande.
Ces difficultés sont clairement à l’origine du ralentissement observé dans les pays “riches” depuis la décennie 1970, et elles commencent à être observées en Chine. Elles sont d’ailleurs à l’origine des activités spéculatives, dans l’immobilier et, plus modestement, dans la finance dans le cas de la Chine. En raison d’un manque de rentabilité de l’appareil productif, les investisseurs se tournent vers des secteurs de plus en plus spéculatifs à l’origine de bulles dont l’éclatement est de plus en plus violent.