Le livre aurait inspiré le discours de politique générale de Manuel Valls. Pourtant, dans La France périphérique (ed.Flammarion), Christophe Guilluy ne fait pas de cadeau à la gauche de gouvernement. Celle-ci, comme la droite, aurait sacrifié les classes populaires sur l’autel de la mondialisation. Polémique même s’il s’en défend, le géographe revient pour 20 Minutes sur cette France des oubliés.
La mondialisation est une réussite, dites vous, mais laisse de côté une majorité de la population…
Avant, les classes ouvrières vivaient dans les villes, où se créaient les richesses. Il y avait une intégration économique et politique. Aujourd’hui, 60% de la population française et 80% des catégories modestes vivent en périphérie. Zones rurales, petites villes, villes moyennes, DOM-TOM: des territoires qui cumulent fragilités économiques et sociales. Pour la première fois, les catégories populaires vivent à l’écart des zones d’emplois les plus actives.
Qui sont les habitants de cette France périphérique?
Ces classes populaires rassemblent des ouvriers, employés, artisans, petits paysans, mais aussi les retraités issus de ces catégories, qui vivent en dessous du revenu médian, et parfois dans des conditions de précarité extrême. La France périphérique, c’est une France qu’on ne voit plus. Ces catégories populaires ne sont plus indispensables pour faire tourner la boutique.
Pourquoi opposez-vous les «petits blancs» de la France périphérique, perdants de la mondialisation, aux populations d’immigration récente des métropoles?
Du fait de l’étalement urbain et de la gentrification des grandes villes, les banlieues se sont retrouvées au cœur des grandes aires urbaines. Elles ont bénéficié de l’attention des pouvoirs publics. Je ne dis pas qu’il y a eu un abandon du petit blanc au profit du petit black ou du petit beur mais on a considéré que tout ce qui était au-delà de la banlieue était constituée d’une classe moyenne sans difficulté. En réalité, non.
Peut-on aller jusqu’à dire que la politique de la ville est une réussite?
Je ne dis pas que 100% des gens en banlieue arrivent à devenir avocat ou trader, mais les possibilités sont là. Aujourd’hui, les ascensions sociales en milieu populaire sont le fait de jeunes issus de l’immigration. Dans une petite ville au fond de la Picardie, cela devient très compliqué de bouger quand on est issu d’un milieu modeste.
Vous accusez la gauche d’avoir sciemment abandonné les classes populaires…
Terra Nova [Think thank proche du PS] a théorisé cet abandon dans une note cynique mais très juste d’un point de vue politique. Aujourd’hui, la gauche gouvernementale est très influencée par la sociologie de son électorat dans les métropoles: les fonctionnaires, les cadres, les bobos. Impossible de satisfaire à la fois cet électorat et les catégories modestes, qui elles sont très critiques de la mondialisation.
Pour expliquer cet éloignement, vous évoquez la désindustrialisation des grandes villes, mais aussi le multiculturalisme…
Aujourd’hui les «petits blancs» ne vont plus vivre dans les quartiers d’immigrés. C’est un fait. Le traiter sous l’angle raciste ou pas raciste, c’est se planter. Le point essentiel est celui du rapport à l’autre. L’émergence de la société multiculturelle touche tout le monde: cadre, ouvrier, immigré. Mais, le bobo parisien qui contourne la carte scolaire est dans la même logique que l’ouvrier d’Hénin-Beaumont qui vote FN. Cette mise à distance de l’autre se retrouve dans toutes les sociétés multiculturelles. Je dis juste qu’il est plus facile de vivre le multiculturalisme à 5000 euros par mois qu’à 500….
Merci à falstaff