Au moment où le modèle allemand est encensé dans le monde entier, le président de l’Institut de recherches DIW, à Berlin, comme d’autres économistes de premier plan, veut en finir avec les clichés aussi flatteurs que “dangereux“. Son pays est “en déclin” et “vit sur ses acquis“, explique-t-il dans “Allemagne, l’illusion” (“Die Deutschland Illusion“). Le revenu moyen d’un ménage allemand a baissé de 3% depuis l’an 2000. La baisse a même atteint 5% pour les 10% les plus pauvres, souligne-t-il.
“L’économie de ce pays est en échec. Sa croissance depuis l’an 2000 est plus faible que la moyenne européenne. Les salaires y ont progressé moins vite, et la pauvreté, en hausse, touche un enfant sur cinq”.
Certes, l’Allemagne, considérée comme “l’Homme malade de l’Europe”, il y a encore une dizaine d’années s’est redressée depuis la crise financière de 2009.
Ses près de 200 milliards d’euros d’excédents commerciaux en 2013 témoignent d’une compétitivité exceptionnelle. Le nombre de chômeurs a chuté de plus de 5 millions en 2005 à moins de 3 millions aujourd’hui. L’amélioration des comptes publics a permis à la chancelière Angela Merkel d’adopter un projet de budget 2015 à l’équilibre au niveau fédéral pour la première fois depuis 1969!
– ‘Énorme manque d’investissements‘ –
Mais tout cela ne doit pas occulter “les faiblesses fondamentales de l’économie allemande”, notamment son “énorme manque d’investissements”.
Ces derniers sont passés de 23% du Produit intérieur brut (PIB) au début des années 1990, à 17% aujourd’hui, nettement moins que la moyenne des pays industrialisés (20%). Pour rétablir ses comptes, l’Allemagne a sabré dans ses investissements publics au moment où ceux des entreprises étaient eux-mêmes en berne.
Cela “conduit à une croissance et des salaires faibles”, explique M. Fratzscher, qui avertit: “le déclin de l’économie allemande va s’accélérer si on ne change pas fondamentalement la politique actuelle”.
Après de mauvais indicateurs ces derniers mois, Olaf Gersemann, chef du service économique du groupe de médias Welt, voit aussi l’avenir en noir, dans un livre paru lundi dernier “La bulle Allemagne”, (“Die Deutschland Blase”).
Nous assistons au “chant du cygne d’une grande nation économique”, prévient-il, convaincu que le pays profite d’une conjonction de “circonstances très favorables” qui vont “bientôt disparaître”, voire s’inverser.
– ‘L’orgueil précède la chute‘ –
Pour lui, “l’Allemagne est en voie de redevenir l’Homme malade de l’Europe“. “L’Allemagne se proclame modèle du monde (…) mais l’orgueil précède la chute“.
Comme M. Fratzscher, M. Gersemann relativise les succès de son pays, qui, sur 20 ans, se classe 156e sur 166 pays pour la croissance, juste derrière l’archipel des Tonga dans le Pacifique, et aux côtés de pays comme l’Italie, le Portugal, l’Ukraine, Haïti, ou la Grèce.
Et si le nombre de chômeurs a baissé de façon spectaculaire, le volume d’heures travaillées n’a pas progressé en Allemagne depuis 20 ans.
L’auteur démonte le mythe des réformes de l’État providence, menées au début des années 2000 par le chancelier Schröder, et qui ne sont “pas la raison du miracle de l’emploi en Allemagne”.
Les succès récents du pays viennent plutôt de sa puissante industrie automobile et de ses entreprises de machines-outils, parfaitement positionnées pour profiter de l’essor d’une vaste classe moyenne dans les pays émergents, notamment en Chine.
L’Allemagne a aussi profité de la flambée de consommation chez ses voisins où les salaires progressaient vite quand elle-même se serrait la ceinture.
– Effondrement démographique –
Enfin, l’effondrement des naissances a “considérablement allégé la facture des ménages et de l’État”, aubaine à court terme seulement.
En 2050, l’Allemagne (où moins de 700.000 enfants naissent chaque année, contre le double au milieu des années 1960) ne sera plus que la troisième nation d’Europe de l’Ouest, derrière la Grande-Bretagne et la France déjà passées en tête pour le nombre de jeunes scolarisés…
“Au plus tard au début de la prochaine décennie, le nombre de retraités va commencer à augmenter (…) et les retraites devront être payées par des générations beaucoup moins nombreuses“.
Pour retarder un peu “la baisse de la population active“, il faudrait 400.000 à 500.000 immigrés par an, perspective “irréaliste” à long terme pour les experts.
M. Gersemann s’alarme que les grandes entreprises n’investissent plus en Allemagne, car “elles anticipent déjà le vieillissement démographique”.
Depuis 2000, le désinvestissement a touché neuf branches industrielles sur 13. Résultat: l’économie allemande devient dangereusement dépendante de ses deux secteurs d’excellence, machines outils et automobile (99% de l’excédent des comptes courants) pourtant menacés par de nouveaux compétiteurs, venus notamment d’Asie.
L’économiste français Patrick Artus s’interrogeait aussi sur l’état de santé de l’Allemagne dans une note récente de la banque Natixis. Il pointait notamment la “croissance potentielle très faible avec le vieillissement démographique, malgré l’immigration (…) et la faiblesse des gains de productivité et du progrès technique” y voyant “des faiblesses et dangers peu discutés“… Jusqu’ici.