Quand la bien-nommée société Yo, une appli mobile dont le service consiste uniquement à envoyer la notification «Yo» sur votre téléphone, a levé son premier million de dollars en juin 2014, tout le monde a éclaté de rire. Ce petit million n’est pourtant qu’une goutte d’eau dans l’océan de capitaux qui afflue vers les start-ups du secteur numérique.
Le magazine Wired relaie les inquiétudes des spécialistes qui redoutent une bulle du numérique comparable à celle de 1999. Dans le Wall Street Journal, l’investisseur Bill Gurley a affirmé que l’argent se déversait dans les start-ups à un niveau préoccupant.
Au deuxième trimestre 2014, note Wired, les capital-risqueurs ont apporté au secteur son plus haut niveau de financement depuis 2001: près de 14 milliards de dollars investis dans 974 contrats. Les investissements à coups de milliards sont devenus la norme, calcule la société CB Insights, boostés par des géants du secteur comme AirBnB, Pinterest, Uber, Lyft, etc.
Et Bill Gurley a trouvé les mots pour convaincre ses confrères du niveau du risque:
«Dire que nous ne sommes pas confrontés à une bulle parce que ce n’est pas aussi haut que 1999, c’est comme dire que Kim Jong-un n’est pas mauvais parce qu’il n’est pas Hitler […] ça n’a pas à être du même niveau que 1999 pour être de la folie.»
«Trop de cash dans l’économie des start-ups, poursuit le magazine, signifie des entreprises plus faibles, qui peuvent survivre sans avoir à générer du cash pour elles-mêmes.» Même des entreprises profitables comme Uber, note Bill Gurley, doivent suivre un train de dépenses monumental pour se maintenir sur les marchés qu’elles ont elles-mêmes créés.
Le pronostic du spécialiste est le suivant: l’argent «brûlé», c’est-à-dire l’argent levé auprès des investisseurs et dépensé par les entreprises avant qu’elles ne commencent à générer du profit, va commencer à manquer.
«Si vous ne pouvez plus lever autant, vous ne pouvez plus “brûler” autant. Enfin, vous pouvez, mais votre entreprise mourra.»
Un autre magazine spécialisé, TechCrunch, rapporte qu’un autre investisseur de capital risque, Fred Wilson, fait le même constat: la période de l’argent facile ne durera pas éternellement, et l’heure du dénouement approche. Cette fois, «l’hiver va (probablement) arriver (bientôt)», titre le magazine en référence à la série Game Of Throne. Fred Wilson explique à propos de sa société:
«Nous avons de multiples entreprises de notre portefeuille qui brûlent des millions de dollars chaque mois. Heureusement, il ne s’agit pas de tout notre portefeuille. Mais c’est plus que ce que je voudrais, et plus que ce avec quoi je me sens à l’aise.»
Et d’ajouter:
«Je suis heureux de ne pas être seul à penser de la sorte. A un certain point, il faut construire un vrai business, générer de vrais profits, soutenir l’entreprise sans les largesses des capital-risqueurs, et commencer à produire de la valeur comme au bon vieux temps.»