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Architecte et chaud partisan des énergies renouvelables, Alain Liébard quitte la fondation Énergies pour le monde et Observ’ER, l’observatoire des énergies vertes. Avant de se vouer à l’enseignement de l’architecture, il jette un coup d’œil rétrospectif sur l’histoire française du déploiement des énergies décentralisées. Une histoire épique.

Après 40 années passées à la tête de la fondation énergies pour le monde et d’Observ’ER, vous tirez votre révérence. Quel regard portez-vous sur le développement des énergies renouvelables?

Objectivement, elles ne sont plus ce qu’elles étaient il y a encore 10 ans: ces énergies décentralisées deviennent une réelle alternative aux énergies centralisées.

Est-ce vrai partout?

Il existe certes des différences selon les régions. Mais avec le développement fantastique que connaissent le photovoltaïque et l’éolien, notamment, ces sources d’énergie sont en passe de gagner. Désormais, ce sont plus de 20% de l’énergie finale mondiale qui est produite par les renouvelables. C’est considérable. Ce qui m’intrigue, en revanche, c’est la raison pour laquelle nous sommes aussi mal traités en France.

Que voulez-vous dire?

On l’a trop souvent oublié, la France a souvent été en pointe dans le domaine des énergies renouvelables. On parlait de maisons solaires dès les années… 1940. Dans les années 1970, les pouvoirs publics ont lancé de grosses expérimentations dans le domaine des énergies solaire et éolienne. A la même époque, on a initié une importante filière industrielle du solaire thermique. Et puis, faute de suivi politique, tout cela s’est écroulé, -pour être relancé par la suite. Avec les fluctuation que l’on a vues ces dernières années.

Comment l’expliquez-vous?

Fondamentalement, il y a des gens en France qui ne veulent pas d’énergie renouvelable.

Vous pensez aux anti-éolien…

Pas seulement et ce ne sont pas eux qui posent le plus de problème. Il y a dans notre pays une caste, les ingénieurs des Mines, dont la carrière tourne autour des cabinets ministériels, des organismes étatiques (CRE, DGEC[1]…). Aussi brillants soient-ils, ces hauts fonctionnaires, parfois détachés dans des grandes entreprises plus ou moins liées à l’état (EDF, RTE…), sont formatés. La plupart d’entre eux ont une vision jacobine de l’énergie: tout doit être produit par de grandes installations. Le tout contrôlé par l’état. Cela laisse peu de place aux énergies renouvelables, décentralisées par nature.

Tout de même, on a vu des ingénieurs des Mines favorables aux renouvelables, notamment ceux qui ont contribué aux programmes Thémis.

On en voit effectivement. Mais ils ne restent jamais très longtemps à des postes décisionnaires. De plus, ils sont ingénieurs, donc favorables aux expérimentations. Mais jamais à la massification des énergies renouvelables. Comment expliquer, sinon, les échecs des plans Eole 2005 ou du premier appel d’offres éolien en mer, de… 2006. Je pense aussi au plan Maison solaire de 1982 qui prévoyait la construction de 5.000 logements. On les attend toujours.

Il y a pourtant eu la loi Nome, la PPI de 2009…

Qui fixent des objectifs que la France ne tiendra pas. En grande partie parce que les membres de cette caste ont distillé depuis des années de petites décisions, des normes qui, individuellement, ne portent pas à conséquence, mais mises bout à bout bloquent véritablement le développement des filières renouvelables. Avec pour conséquence la destruction de 18.000 emplois ces dernières années et l’empêchement pour de grands groupes français de se positionner efficacement sur des marchés en pleine croissance, mais à l’étranger.

Les ingénieurs des Mines ne sont pas responsables de la crise financière, ni de la révolution imputable aux gaz de schiste américains.

Evidemment non. Mais si l’on regarde sur l’autre rive du Rhin, que constate-t-on? Que la transition énergétique a été lancée il y a une quinzaine d’années, parce qu’il y avait un consensus pour le faire. Aujourd’hui, l’Energiewende connaît des difficultés. Les autorités allemandes, qui ont d’abord fixé des objectifs considérables en matière d’éolien et de solaire, ajustent leur politique, en modifiant les tarifs d’achat. Les technologies deviennent de plus en plus compétitives, il est donc normal qu’elles soient moins aidées.

C’est du réalisme. En France, on se fixe un objectif de 25.000 mégawatts éoliens et, dans la foulée, on établit des ZDE, des SRCAE, des SRRER[2], la règle des 5 mâts, des provisions pour le démantèlement des turbines, etc. En Allemagne, les décideurs, politiques et économiques, ont une vision à long terme. Ce n’est pas le cas ici.

Et pourtant, ça avance.

Oui, ces énergies de terroir deviennent compétitives par rapport aux modes classiques de production d’électricité. Et cela devrait bouleverser le paysage énergétique, même en France. Le projet de loi sur la transition énergétique va d’ailleurs dans le bon sens, en donnant la possibilité aux régions de s’investir davantage dans la production d’énergie.

Cela ne suffira pas.

Non, bien sûr. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la transition énergétique n’est pas seulement le remplacement d’une énergie par une autre. Si l’on prend l’exemple d’une maison à énergie positive, son fonctionnement mobilise les expertises des maitres d’œuvre et d’ouvrage et de nombreux prestataires. C’est beaucoup plus complexe que de raccorder simplement un logement au réseau électrique, comme on le fait maintenant.

Cette transition est un projet qui va changer la société, comme l’internet l’a fait il y a une décennie.

Pourtant, les politiques ne la considèrent pas comme un projet de société.

Effectivement. Ils confondent les avancées pour la société, comme le mariage pour tous, avec les projets de société, qui sont initiés par le progrès technique. De même qu’ils n’ont pas vu arriver la révolution digitale, ils passent totalement à côté du changement de paradigme énergétique que nous vivons.

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Notes :

[1] CRE: Commission de régulation de l’énergie. DGEC: Direction générale de l’énergie et du climat.

[2] ZDE : zone de développement éolien. SRCAE : schéma régional climat air énergie. SRRER: schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables.

Journal de l’environnement

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