Par Benoît Cœuré, « On the optimal size of the financial sector », discours prononcé à Francfort, 2 septembre 2014. Traduit par Martin Anota
La récente crise financière mondiale nous amène à reconsidérer la contribution du secteur financier à l’économie réelle. (…) Avant qu’éclate la crise financière, la littérature empirique qui explorait le lien entre finance et croissance suggérait qu’un élargissement du secteur financier était essentiel dans le processus de développement économique.
Ce constat semblait aussi bien s’appliquer aux pays en développement que pour les pays avancés. Encouragés par de telles conclusions, les responsables politiques n’ont pas douté de la capacité du secteur financier à innover et à canaliser les fonds vers leur usage le plus productif. (…)
Malheureusement, les économies dont le secteur financier est large, dynamique et complexe ne sont pas épargnées par les sévères contractions macroéconomiques. En fait, la littérature portant sur les crises bancaires fournissait plusieurs preuves empiriques suggérant un lien causal entre la croissance rapide du crédit et les turbulences bancaires de dimension systémique bien avant qu’éclate la crise financière mondiale.
De plus, les coûts en termes de production qui sont associés aux sévères crises bancaires semblent particulièrement élevés.
Est-ce que ces deux observations sont contradictoires? Pas nécessairement (…). D’un côté, un secteur financier mâture peut assurer une allocation efficace des ressources productives et ainsi soutenir la croissance à long terme. De l’autre, un endettement excessif peut faire basculer le système financier en crise et provoquer ainsi de puissants retournements de l’activité économique.
Par contre, la crise nous a amené à prendre conscience que la taille du secteur financier peut exacerber l’arbitrage entre l’efficacité économique et la stabilité financière. Si la finance est en soi nécessaire à la croissance, un secteur financier hypertrophié peut se révéler nocif à l’activité économique réelle. Bien sûr, il est complexe de déterminer à partir de quel moment on peut qualifier un secteur financier comme “hypertrophié”. (…)
En ce qui concerne le lien entre la finance et la croissance, plusieurs auteurs ont affirmé que la finance influençait la croissance de façon positive et monotone, comme si tout accroissement du secteur financier ne pouvait être qu’une bonne chose. Les récentes études empiriques suggèrent qu’il s’agissait d’une conclusion hâtive. (…) Lorsque la taille du secteur financier atteint un certain seuil, tout accroissement supplémentaire peut se révéler dommageable à la croissance économique à long terme.
Pourquoi est-ce que l’impact de la finance sur la croissance n’est-il pas linéaire ? Les récentes études académiques suggèrent au moins cinq explications. Premièrement, le secteur financier a graduellement étendu la gamme de ses activités au-delà de son activité traditionnelle d’intermédiation pour réaliser de plus en plus d’activités financières qui ne reposent pas sur l’intermédiation, notamment le trading.
Or les analyses empiriques suggèrent que les stratégies des banques qui visent à générer des revenus autres que les intérêts sont plus risquées. Ce déplacement de focale accroît naturellement la probabilité qu’éclate une crise systémique. De plus, il est de plus en plus difficile d’établir des mesures empiriques des services financières qui soient cohérentes avec les activités de la finance contemporaine. C’est tout particulièrement le cas des économies à haut revenu dont les secteurs financiers sont fortement sophistiqués.
Deuxièmement, le système financier peut croître excessivement par rapport à l’économie réelle car il peut extraire trop de rentes informationnelles et verser des salaires excessivement élevés. Par exemple, alors que le secteur financier représentait moins de 2,5 % du revenu du travail total au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il en représentait 8,3 % en 2006.
Par conséquent, trop de jeunes talents peuvent être employés dans le secteur financier. Pour le dire plus crûment, il y avait avant la crise trop de banquiers et trop peu d’ingénieurs. Ce type particulier de “fuite aux cerceaux” peut freiner la croissance de la productivité globale de l’économie réelle. Il peut se révéler particulièrement inefficace si les rendements sociaux des services financiers sont plus faibles que leurs rendements privés, ce qui est probablement le cas lorsque le secteur financier est initialement trop large.
Troisièmement, une expansion du secteur financier peut signaler une mauvaise allocation du crédit aux activités économiques les moins productives. Les modèles théoriques d’intermédiation financière supposent habituellement que l’épargne est mobilisée pour accorder des prêts aux entrepreneurs.
Cependant, l’essor de l’intermédiation financière que l’on a pu observer avant la crise s’explique avant tout par l’essor du crédit accordé aux ménages et en particulier du crédit hypothécaire. En fait, dans plusieurs pays (notamment le Canada, le Danemark et les Pays-Bas), les prêts accordés aux ménages représentaient plus de 80 % du prêt total des banques.
Dans plusieurs cas, un euro en prêt hypothécaire contribue moins à la croissance économique globale qu’un euro prêté à une jeune entreprise innovante.
Quatrièmement, un secteur financier hypertrophié peut refléter une prise de risque excessive. Par exemple, certains affirment que la plus grande concurrence bancaire peut éroder la valeur des banques prises individuellement. Cela peut à son tour encourager les banques à adopter un comportement imprudent.
Le comportement concurrentiel peut accroître la résilience du système, mais une structure de marché concurrentielle peut l’affaiblir. Une logique similaire s’applique à un environnement où la liquidité est abondante. Cela peut s’expliquer par une politique monétaire très accommodante (…), par un système financier fortement endetté (…) ou par une combinaison des deux.
Un tel environnement exacerbe les problèmes d’aléa moral dans le secteur bancaire, accroît l’appétit des banques pour le risque. Cependant, une prise de risque accrue peut fragiliser les banques individuelles et par là le secteur bancaire dans son ensemble, accroître la probabilité d’un effondrement systémique et par conséquent pénaliser la croissance de long terme.
Enfin, il y a un lien entre la taille du secteur financier et sa complexité. Il est probable que la complexité et l’interconnexion des institutions financières s’accroît (peut-être même de façon exponentielle) avec la taille globale du secteur financier, rendant plus difficile pour les régulateurs de comprendre ce qui se passe en son sein.
Les autorités publiques n’aurait peut-être pas laissé le système financier connaître une forte expansion si elles s’étaient dotées d’instruments pour comprendre sa complexité et surveiller la propagation des chocs. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être à nouveau pris au dépourvus, mais devons déterminer précisément où se situent les véritables problèmes.