Pour Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, l’Etat islamique est plus l’expression d’un «immense fantasme» qu’une véritable idéologie politique. Un épiphénomène qui révèle selon lui une crise profonde des cultures en Orient comme en Occident. Extraits d’un entretien dans Libération
Aujourd’hui, le jihad est la seule cause sur le marché. Nous ne voulons pas voir les points communs, mais seulement les différences, et préférons nous enfermer dans une lecture monomaniaque du monde musulman. On se réfugie dans le choc des cultures sans voir l’aspect mondialisé du phénomène. Or, ces conflits sont le symptôme d’un même effondrement culturel. […]
Mais pourquoi cet islam modéré est-il invisible ?
Dans votre livre, vous parlez d’une «crise des cultures». De quoi s’agit-il ?
Les cultures n’ont pas disparu, elles ont été sacrifiées sur le bûcher des identités. Dès que l’on se réclame d’une identité, on a perdu sa culture. Par exemple, les militants d’extrême droite qui veulent défendre une identité française en organisant des apéros «saucisson-vin rouge» nient les fondements de la culture française, sa littérature, son histoire. Se situer ainsi dans les symboles et les codes montre à quel point les cultures sont en crise.
Selon vous, ces crispations identitaires se traduisent notamment par un «laïcisme phobique»…
On ne veut pas voir le religieux. Si vous demandez aux gens : «Qu’est-ce que la laïcité ?», ils vont presque tous vous répondre que c’est l’interdiction de la religion dans l’espace public. Qu’elle doit absolument rester privée. La loi de 1905 n’exclut pas le religieux de l’espace public mais l’organise. Par exemple, elle n’interdit pas les processions mais en définit les conditions.
Interdire à des femmes voilées d’accompagner les sorties scolaires est une aberration, là on peut parler de phobie de l’islam.
Plus qu’une phobie religieuse, ne nous trouvons-nous pas en présence d’une phobie de l’islam ?
Il est vrai que le débat sur la laïcité s’est crispé sur l’islam. Certains, comme Marine Le Pen, sont très clairs : ni kippa ni voile. On revient donc aux racines chrétiennes de la France. D’autres vont tenir un discours laïciste général mais qui, en fait, cible principalement l’islam. […]