Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a discrètement glissé, mercredi 15 octobre, un amendement assez inquiétant dans la loi antiterroriste – que le Sénat, bonhomme, a adopté le lendemain sans ciller. Il s’agit de pouvoir interdire l’entrée en France d’un ressortissant de l’Union européenne, en dépit de la sacro-sainte liberté de circulation, s’il représente « une menace » pour la sécurité publique. Pas forcément une menace terroriste – le mot n’est même pas cité.
La formulation est tellement large que les associations se demandent si le texte ne vise pas, surtout, les Roms. A peine expulsés, ils reviennent. On pourra désormais leur interdire d’entrer. Un soupçon dont s’offusque le ministère. […]
Tout étranger, mais surtout « tout ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (…) ou tout membre de la famille d’une telle personne, peut, dès lors qu’il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». […]
« C’est une définition extrêmement large, qui permet d’interdire à à peu près n’importe qui l’accès au territoire », s’inquiète Serge Slama, maître de conférences en droit public à Paris-Ouest-Nanterre. Notamment aux Roms, qui sont près de 6 millions à vivre dans l’Union européenne. […]
La « mendicité agressive », par exemple, d’une famille Rom constitue-t-elle une menace qui touche aux intérêts fondamentaux de la société ? Oui, a déjà répondu le Conseil d’Etat, le 1er octobre. Le Conseil examinait un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, qui avait refusé d’annuler l’expulsion d’une Rom roumaine.
Cette femme, qui vivait dans un bidonville de Seine-Saint-Denis, avait été interpellée avec dix autres le 8 janvier 2012 et placée en garde à vue pour avoir réclamé de l’argent avec la fausse documentation d’une association caritative. Au vu de cette « escroquerie à la charité publique », le préfet a pris le lendemain un arrêt d’expulsion.
Le Conseil d’Etat a relevé que la personne ne contestait pas les faits, qu’elle était en France depuis moins de trois mois, « qu’elle ne disposait d’aucun autre moyen de subsistance que la mendicité », et que, bien que mère de quatre enfants, « l’un d’entre eux seulement était à sa charge ». Donc, « la présence de Mme A. en France constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité publique, qui constitue un intérêt fondamental de la société français » : mot pour mot les termes de l’amendement. […]