Zunera Ishaq est une musulmane pakistanaise arrivée au Canada suite au parrainage de son mari. Arrivée ici, au moment de faire son serment de citoyenneté, elle a refusé de retirer son niqab alors qu’une directive gouvernementale exige qu’on fasse ce serment à visage découvert.
Elle poursuit désormais le gouvernement canadien qui l’empêcherait d’exercer pleinement sa liberté de religion.
Son avocat accuse notamment le ministre Jason Kenney d’avoir imposé ses convictions personnelles à l’ensemble de la population, et de violer les droits constitutionnels de la plaignante. On notera que c’est en prenant la pose de la victime persécutée qu’elle entend s’inscrire dans son nouveau pays.
C’est le multiculturalisme à son meilleur. On en connait désormais parfaitement la règle fondatrice. C’est l’inversion du devoir d’intégration. Ce n’est pas à l’immigrant de s’intégrer au pays qui l’accueille mais c’est à ce dernier à se transformer pour accommoder la «diversité».
Et si le pays d’accueil ne se couche pas, on l’accusera de discrimination et de ne pas s’ouvrir à l’autre, dont l’apport sera nécessairement bénéfique, dont la contribution sera inévitablement positive… (…)
Plus largement, dès qu’une communauté culturelle peinera à s’intégrer, on accusera la société d’accueil de la marginaliser, mais jamais on n’invitera cette communauté à l’autocritique.
Nous sommes devant une machine à culpabiliser la société occidentale, pour la désarmer idéologiquement et politiquement, et la neutraliser psychologiquement en la convainquant que chaque fois qu’elle affirme, elle opprime.
On nous dira qu’il ne faut pas réduire la femme en question à son niqab, qui n’est d’ailleurs que l’expression de ses convictions les plus intimes, qu’il ne faudrait pour rien au monde brusquer, tant le droit canadien s’est défini selon le principe du respect des «croyances sincères».
On répondra qu’il s’agit d’une escroquerie intellectuelle grossière. Celle qui porte le niqab, et on pourrait appliquer ce commentaire à d’autres symboles religieux ostentatoires moins caricaturaux, envoie le signal à la société qu’elle veut d’abord se faire reconnaître par ce symbole, qui relève de l’exhibitionnisme identitaire le plus criant.
On porte le niqab justement pour s’y réduire, à la manière d’un uniforme qui est aussi un symbole politique. Il marque aussi une frontière culturelle et symbolique très visible qui soustrait les femmes qui le portent à la société d’accueil, pour les ramener dans les frontières étroites et infranchissables d’une communauté ethno-religieuse.
Il s’agit de l’expression violente et sans équivoque d’un refus de s’intégrer au pays qu’on rejoint. Ou si on préfère, il s’agit d’une déclaration de non-appartenance. Le niqab envoie un message clair : nous sommes ici mais nous ne sommes pas des vôtres, et votre loi n’est pas la nôtre. Tout cela devrait être évident.
Mais la rhétorique des droits individuels empêche en fait de comprendre les dynamiques collectives et communautaristes qui se jouent à travers les signes religieux ostentatoires.
La mystique de l’Autre, le culte immodéré de la différence, le fanatisme de la diversité, poussent à la négation du réel. On ne veut pas voir que les droits de l’homme dont nous nous enorgueillissons légitimement ont été dénaturés et sont systématiquement retournés contre la société d’accueil par des radicaux qui veulent profiter du confort matériel et juridique des sociétés occidentales mais qui considèrent que la culture des sociétés d’accueil est un élément optionnel qu’il n’est pas nécessaire d’embrasser.
La réduction des symboles religieux à des symboles individuels présuppose leur déculturation, à tout le moins, du point de vue du droit canadien. On traite le niqab comme une casquette de baseball parmi d’autres ou comme un t-shirt de groupe de musique. À tort. On détache ce symbole de sa signification objective, de peur de se faire accuser, dans nos propres frontières, de néo-colonialisme identitaire ou encore d’entretenir un réflexe patriarcal à l’endroit de ces femmes.
Il faudrait savoir dire quelque chose comme «le niqab n’est pas canadien et ne le sera jamais». Cela présuppose évidemment qu’on ne définisse pas un pays simplement comme un terrain vague sans réalité identitaire spécifique. Car les peuples ont non seulement le droit de s’autodéterminer, mais ils ont aussi celui de demeurer eux-mêmes, de conserver leur culture, et de ne pas se dissoudre dans le multiculturalisme mondialisé.
(…) Ceux qui entendent vivre dans l’univers mental qui accompagne le niqab n’ont manifestement pas l’intention de faire l’effort d’intégration nécessaire pour rejoindre leur nouveau pays. Ce n’est pas la religion en soi qui peine aujourd’hui à s’acclimater à la réalité canadienne, mais certaines religions, ou plus exactement, certaines franges et pratiques culturelles qui leurs sont associées.
Mais de peur de se faire accuser d’islamophobie, on a préféré revivre abstraitement la querelle du religieux et du politique, quitte, quelquefois, à se livrer à certains excès rhétoriques contre la religion en soi. C’est l’angle-mort de la question de la laïcité.
(…)
Le Canada, à certains égards, n’a peut-être que lui-même à blâmer. Ce pays a renoncé à son identité historique binationale, pour se définir exclusivement dans les paramètres de la Charte des droits, devenue un texte sacré, au service d’un multiculturalisme devenu quant à lui religion d’État. Dénationalisé, déculturé, déchristianisé, pris dans un carcan légal qu’il confond avec l’État de droit, le Canada peut difficilement faire autre chose que gérer les excès du multiculturalisme.
(…)
La démocratie se délivrera de la tutelle du multiculturalisme, sans quoi elle n’y survivra pas.
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