Si l’épidémie du virus Ebola semble être actuellement assez «contenue» (malgré plus de 4000 morts), une pandémie pourrait avoir un impact majeur (l’OMS a en effet averti que l’épidémie était en croissance «explosive» et pourrait, en l’absence d’un renforcement significatif des moyens mis en œuvre, contaminer 20.000 personnes d’ici à novembre). L’économie mondiale pourrait alors en pâtir. Tentative d’explication sous forme de question-réponse.
Quels sont les premiers enseignements que l’on peut tirer?
Tout d’abord, cette épidémie ne tombe vraiment pas bien parce qu’elle frappe juste à un moment où l’économie mondiale doute.
Ensuite, l’expérience que nous apportent les précédents exemples est que l’impact est ressenti de façon inégale (géographiquement notamment car il y a quatre États qui sont réellement touchés (Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone).
Finalement, il n’y a pas actuellement de remède contre le virus Ebola alors qu’il n’y a aucun obstacle théorique à son développement contrairement au sida par exemple. Ce sont les moyens financiers qui manquent mais qui affluent de plus en plus en raison de la crainte de voir une pandémie. Aujourd’hui, seuls deux vaccins semblent prometteurs. Celui de GSK, développé avec les Instituts américains de la Santé, fait figure de favori, après avoir montré de bons résultats sur des macaques.
Élaboré à partir du virus du rhume du chimpanzé, il est testé sur l’homme depuis quelques semaines. Si ces essais cliniques s’avèrent concluants, il pourrait être disponible dès 2015. Le VSV-EBOV, mis au point par le gouvernement canadien et dont l’ingrédient phare est le virus de la stomatite vésiculaire (une maladie contagieuse qui frappe le bétail), est lui aussi très efficace sur le singe, à tel point que le Canada a déjà cédé près de 800 doses à l’OMS. On ne sait cependant encore rien de ses effets sur l’homme.
Quels pourraient être les impacts au niveau de la croissance locale?
La BM a signifié mi-septembre que l’impact économique d’Ebola pourrait être «catastrophique» dans les pays foyers de l’épidémie, le facteur «peur» étant actuellement la principale cause qui paralyse l’activité. Les dégâts économiques pourraient s’élever à 32,6 milliards de dollars d’ici la fin de l’année 2015 si l’épidémie devait s’étendre aux pays voisins, notamment les plus grandes économies de la région.
L’institution a souligné que si le virus devait continuer de se propager dans les pays les plus durement affectés, son impact économique pourrait être multiplié par huit, infligeant un choc catastrophique à des États déjà fragiles. La Banque mondiale soulignait également les risques de crise alimentaire. Selon les calculs de la BM, le PIB cumulé du Liberia, de la Guinée et de la Sierra Leone pourrait être amputé de 359 millions de dollars en 2014 et de 815 millions en 2015 si l’épidémie n’est pas contenue.
La croissance économique chuterait alors l’année prochaine de 11,7 points de pourcentage au Liberia et de 8,9 points en Sierra Leone, risquant de faire plonger ces deux pays pauvres en récession.
Finalement, si l’on prend les estimations de l’OMS qui indiquent que 0,5% de croissance économique est gagnée pour chaque période de cinq ans d’espérance de vie supplémentaire, une épidémie mortelle comme celle d’Ebola constituerait une entrave considérable à la croissance économique à court et à moyen terme, surtout si elle n’était pas rapidement maîtrisée.
Quels pourraient être les impacts au niveau de la croissance mondiale?
Dans une note de 2009, les experts de la Banque mondiale estimaient, par exemple, que le coût économique de la pandémie de fièvre H1N1 pourrait varier de 0,7% à 4,8% du PIB mondial. La fourchette basse correspondait à une «catastrophe modeste», à l’instar de la grippe de Hongkong de 1968; une épidémie «moyenne», comme la grippe asiatique de 1957, ferait perdre 2% de PIB mondial; l’hypothèse haute était semblable à une «catastrophe sévère» du type de la grippe espagnole de 1918, qui avait fait entre 50 et 100 millions de morts.
La même étude montrait que 60% de ces pertes seraient dues à une diminution de la demande mondiale.
En 2008, juste après le déclenchement de la crise économique, le cabinet britannique Oxford Economics prédisait, lui que la pandémie pourrait repousser d’un à deux ans le redressement de l’économie mondiale.
Rappelons que dans les deux précédentes épidémies mondiales (SRAS, fièvre H1N1), le «facteur peur» avait aussi été responsable de la quasi-totalité de l’impact économique.
Quel impact au niveau des secteurs?
En cas de pandémie, au niveau des secteurs, c’est surtout l’industrie touristique qui seront impactée, mais de manière inégale: les transporteurs aériens (principalement les compagnies low cost car elles ont un lien direct avec la croissance du trafic aérien) sont touchés de plein fouet, et les hôtels, juste après.
Les voyages et le tourisme au sens large représentent environ 11% de l’économie mondiale, ce qui en fait la principale industrie du monde. Une autre caractéristique du secteur est qu’il ne peut pas stocker sa production. Les industries qui peuvent stocker leur production quant à elles récupèrent rapidement leurs pertes (on pense notamment au secteur de l’automobile).
L’IATA avait estimé lors du développement du SRAS que de janvier à avril 2003, le trafic international avait baissé de 2,6%, avec un pic négatif de 17% en avril. A la même date, les liaisons s’étaient réduites de 36% par rapport à 2002 vers l’Asie et le Pacifique, et de 22% vers l’Amérique du Nord: l’incertitude en matière de sécurité (après les attentats du 11 septembre 2001) et le SRAS ont eu ensemble un effet sans précédent sur le transport aérien. Le trafic international de passagers en 2003 a été inférieur de 3 à 4% à celui de 2002.
Plus globalement, l’absentéisme au travail et la diminution des voyages perturbent aussi la conduite des affaires, et donc la production. Les clients et consommateurs pourraient, eux, décider d’éviter les lieux publics et restreindre leurs envies de tourisme.
Le secteur de l’assurance suit bien évidemment de près l’évolution de l’épidémie. Les compagnies d’assistance par exemple – spécialistes de la gestion de crise médicale – sont les premières concernés.
Plus globalement, l’assurance de personnes et la réassurance d’assurance de personnes seraient les plus touchées, alors que l’industrie de l’assurance de dommages devrait l’être moins.
La région actuellement touchée (Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone) ainsi que les pays à proximité ont déjà pris certaines mesures concernant les importations et les exportations de matières premières. Les secteurs extractif, minier ou de l’agro-alimentaire ont dû suspendre leurs activités.
En Guinée, Arcelor Mittal a suspendu les travaux d’expansion d’une minerai de fer par exemple. En Sierra Leone, c’est London Mining qui a fait évacuer une partie de son personnel. Le Sénégal a interdit toute importation de produits agricoles en provenance de la Guinée; cette mesure pourrait concerner tous les pays touchés et être adoptée sans doute par de nombreux partenaires commerciaux de ces pays, notamment ceux important de la viande et des produits agricoles.
L’on imagine aussi que le secteur du cacao (plus de 70% de la production mondiale se situe dans la région) devrait être touché par l’épidémie en raison de craintes que l’épidémie d’Ebola n’atteigne les deux plus gros producteurs de fèves brunes de la planète, la Côte d’Ivoire et le Ghana, pays proches de la zone contaminée. L’équilibre offre / demande s’en trouverait alors perturbé. Les cours ont d’ailleurs atteint très rapidement les niveaux de début 2011. La croissance se trouve ainsi limitée, tout au moins cette année.
Selon des travaux de l’agence Moody’s, du FMI et de la Banque Mondiale, la Guinée pourrait perdre un point de croissance en 2014 (3,5% au lieu de 4,5% initialement estimé). Les autres pays touchés pourraient aussi voir leur croissance atteindre des niveaux plus bas que ceux prévus. Les objectifs de recettes, fiscales notamment, de l’État ne seraient pas atteints, contribuant ainsi à accentuer les déséquilibres budgétaires (et la qualité de la signature du pays touché) et à tenir en échec les programmes de développement des autorités.
En 2003, l’épidémie de SRAS avait provoqué une baisse de 6,5% du trafic passager entre janvier et juillet. Dans le même temps, l’indice des groupes de luxe (Berenberg) avait alors perdu plus de 20%.
Il est évident qu’un ralentissement du tourisme mondial a un impact négatif sur l’industrie du luxe et des cosmétiques, notamment par le biais des ventes en boutiques hors taxes dans les aéroports.
Rappelons qu’en Europe, plus de la moitié des ventes de produits de luxe sont liées aux touristes.
Les groupes de spiritueux pourraient souffrir davantage, surtout si les déplacements de personnes étaient restreints, ce qui se traduirait par une baisse des ventes d’alcool hors domicile et en duty free.
La déflation est-elle envisageable?
Tous les ingrédients pourraient théoriquement être réunis pour plonger le monde dans la déflation, soit une crise profonde marquée par une baisse générale et prolongée de la valeur des biens et des actifs.
Ce cercle vicieux risquerait aussi d’ébranler la confiance des investisseurs et des marchés financiers, encore sous le choc de la difficile reprise économique actuelle. Rien de tel pour inciter les ménages à redoubler de prudence et à épargner davantage.
Cependant nous ne sommes pas à ce niveau de stress aujourd’hui et nous pourrions très bien nous retrouver dans une situation similaire aux deux derniers virus (SRAS et H1N1), où, malgré de nombreux décès, la situation était revenue à la normale quelques mois après son déclenchement.
Relativisons finalement en signalant que 3 à 5 millions de personnes sont affectées sévèrement par le virus de la grippe chaque année dans le monde et plus de 50’000 en meurent. Le virus Ebola ne devrait pas avoir le même impact. Enfin espérons-le.