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Massés devant la Banque centrale de Bulgarie, à Sofia, ils avaient juré de bloquer le bon déroulement des élections législatives si leur banque ne rouvrait pas ses portes avant le 5 octobre, date du scrutin. Les petits épargnants de la Corporate Commercial Bank (CCB) ont échoué. Leurs comptes restent bloqués dans les coffres de la quatrième banque du pays depuis la mystérieuse panique qui a mis à terre l’établissement, en juin. Selon le site d’information bulgare Novinite, entre 200 000 et 500 000 particuliers mais aussi collectivités et organisations publiques sont concernés.

Pour les clients en colère, dont nombre de retraités alléchés par les rendements mirobolants offerts par la CCB, l’Europe représente un maigre espoir. En septembre, la Commission européenne a mis le pays en demeure au nom de la défense des épargnants. Mercredi 15 octobre, Sofia a dû s’expliquer. Rumen Porozhanov, ministre de l’économie par intérim, jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit formé, a promis que les épargnants seraient remboursés à partir de novembre à hauteur de la garantie en vigueur dans l’Union européenne : 196 000 leva (100 000 euros).

Mais les clients de la CCB n’ont pas confiance. Et restent furieux. Ils redoutent que l’Etat les rembourse en obligations, et non en cash. « Non seulement nous n’allons pas remettre la main sur nos dépôts rapidement, mais en plus l’Etat travaille contre nous et contre le droit européen ! », s’alarme Daniel Bozhinov, organisateur de nouvelles manifestations les 13 et 14 octobre.

Leur inquiétude est légitime. Quand bien même la Bulgarie contreviendrait au droit communautaire, « l’armée ne va pas débarquer. On n’est pas la police », prévient une source bruxelloise. Les politiques peuvent être tentés de faire traîner l’affaire, gênés de renflouer avec l’argent du contribuable une banque à la réputation sulfureuse.

Décrite comme l’une des « pommes pourries » du système financier bulgare, selon un télégramme publié par WikiLeaks, la CCB est aussi surnommée la « banque du pouvoir » : l’établissement aurait capté le financement des grands projets publics dans la plus grande opacité (le pays est classé 77e sur 177 par Transparency International) et financé des partis de tout bord.

« L’état de cette banque en dit plus sur le système politique que sur le système bancaire », explique Slavina Spasova, spécialiste de la Bulgarie à l’Université libre de Bruxelles. « Ce n’est pas une crise bancaire, c’est une crise mafieuse ! », résume Hristo Anastassov, président de l’association le Courrier de la Bulgarie.

Derrière les déboires de la CCB se niche, de fait, une brouille entre deux hommes d’affaires proches de l’élite. D’un côté Tsvetan Vassilev, actionnaire majoritaire de la banque, de l’autre Delyan Peevski, magnat des médias à la réputation de « parrain ». Le premier serait l’un des financiers du parti populiste Bulgarie sans censure. L’autre est un fidèle du Parti du droit et des libertés de la minorité turque, endetté auprès de la CCB. Deux mouvements susceptibles de soutenir officiellement ou officieusement le prochain gouvernement de Boïko Borissov, futur premier ministre à la tête du parti de droite Gerb.

Endiguer la panique naissante

Par vengeance, M. Peevski aurait orchestré la chute de la banque, usant des « unes » de ses journaux pour faire état d’une faillite imminente de la CCB. Pendant ce temps, M. Vassilev fuyait en Serbie…

Pour endiguer la panique naissante, la banque centrale a fermé l’établissement le 20 juin. Depuis, rien, ou si peu. L’éventuel remboursement des épargnants ne suffira pas à apaiser une population écœurée du mélange entre affairisme et politique. « M. Borissov propose seulement de limoger le patron de la banque centrale ! », s’emporte Antony Todorov, professeur de sciences politiques. « Les gens veulent une enquête approfondie, de la transparence ! », plaide Martin Dimitrov, économiste et membre du Bloc réformateur, un petit parti libéral.

Mme Spasova en conclut que la solution à cette crise bancaire ne peut être que politique. Elle espère : « S’il y a une recomposition du pouvoir, si M. Borissov forme une coalition au Parlement avec des gens du Bloc réformateur plus enclins à lutter contre les oligarques et le clientélisme, alors peut-être… ».

Le Monde

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