Architectes et ingénieurs s’activent pour être les premiers à imprimer intégralement un bâtiment. Coffrage et échafaudage rimeront-ils bientôt avec moyen-âge ?
Il y a quelques mois, dans un jardin d’un lotissement du Minnesota a surgi, en quelques jours un château médiéval. Cette copie haute de deux étages a été réalisée grâce à une imprimante 3D faite maison. « Le problème que je rencontre, à ce jour, se situe au niveau de la buse de la tête d’impression. L’éjection du béton – matériau visqueux – doit être améliorée », explique l’inventeur qui, fort de son exploit réalisé à domicile, lance aujourd’hui un appel aux architectes et ingénieurs qui souhaitent l’accompagner dans la poursuite de son « rêve d’enfant » : imprimer des bâtiments.
Cet Américain n’est pas le seul à qui l’impression 3D fait tourner la tête. La chimère du chantier sans ouvriers se répand et, en Amérique, en Europe et en Asie, ingénieurs, chercheurs et architectes s’activent à concevoir une imprimante à bâtiments qui pourrait révolutionner notre manière de construire et faire passer les coffrages et les échafaudages pour des antiquités.
La fin des gigots bitumes
Afin de pouvoir donner vie aux formes les plus complexes qui émergent de son imaginaire, l’architecte néerlandais Janjaap Ruijssenaars – qui s’était fait connaître avec son concept de « lit flottant » – a été trouver Enrico Dini. Fils du chef du département informatique de Vespa, cet Italien aux allures de savant fou, passionné de robotique, est une star dans le microcosme de l’impression 3D.
Il dit avoir tout sacrifié pour réaliser son rêve : concevoir une imprimante capable de réaliser des édifices en un temps record. Sa machine baptisée D-Shape, qui a, pour l’instant, servi à réaliser des ouvrages d’art de plusieurs mètres de large et de haut, est, d’ores et déjà, proposée en France avec licence d’exploitation.
La tête d’impression, qui se déplace à l’intérieur d’un cube de 6m de côté, éjecte une matière liquide – constituée de sable et d’un liant à la composition tenue secrète – qui pourrait donner forme à des bâtiments de deux étages. Utilisant la technique dite de stéréolithographie, les objets prennent forme par superposition de tranches fines de matière.
« L’industrie du bâtiment est tributaire des interventions manuelles. La réalisation de forme concave ou convexe nécessite la préfabrication de coffrage coûteux », souligne Enrico Dini pour signifier que le grand gagnant de l’impression de bâtiment sera l’architecte.
Selon lui, son imprimante géante, en supprimant la main de l’homme, rendrait la liberté de création de l’architecte infinie. Mais ce qui excite le plus Janjaap Ruijssenaars, c’est la possibilité de réaliser un bâtiment à l’exact identique aux quatre coins de la planète, sans risque que l’intervention des hommes apporte son lot de malfaçons.
Reste à observer la qualité de ces « photocopies » et donc la durabilité des édifices. Aux dires de l’inventeur italien, une fois solidifiée, la matière aurait des caractéristiques proches de celles du marbre. Mais si, sur son site, il affirme que les résultats aux tests de traction et de compression sont bien au-dessus de ce qu’offre un ciment Portland ordinaire – ce qui permettrait de se passer d’armatures d’acier -, il ne donne aucun chiffre.
Plombiers et électriciens subiront-ils le même sort que les aiguiseurs de couteaux?
Outre-Atlantique, dans les locaux du prestigieux Massachusetts Institute of Technology, des chercheurs travaillent, eux, à la mise au point d’un petit robot capable d’imprimer de grands bâtiments. Se présentant, à ce stade, sous la forme d’un bras mécanique pivotant autour d’un axe, il imprime des coquilles qu’il suffit de remplir de béton pour obtenir un bâtiment solide. Ces concepteurs mettent en avant le fait que le matériau à prise rapide utilisé joue le rôle d’isolant thermique.
Le Dr Behrokh Khoshnevis a également mis au point, au sein de l’University of Southern California, une imprimante à bâtiment utilisant la stéréolithographie. Ayant déjà fait l’objet de 20 brevets, la sienne éjecte un béton fibreux qui offre, selon lui, une résistance en compression de 10.000 pounds per square inch (psi), soit près de 70 MégaPascals. A titre de comparaison, on parle de bétons à très haute performance au-delà de 50Mpa.
Le professeur américain travaille également, avec ses étudiants, au développement de machines capables d’installer les éléments de plomberies, les circuits électriques et même de projeter la peinture. Selon lui, le premier bénéfice de l’impression 3D est la suppression des accidents de chantier, tout en argumentant sur la possibilité donnée aux femmes et aux personnes âgées de participer à l’acte de construire.
Soutenu par deux géants américains du monde du bâtiment, Caterpillar et USG, le défenseur de l’imprimante à bâtiments met également systématiquement en avant le fait que cette suppression des « interférences humaines », permettrait de réduire le coût de construction, les malfaçons et évidemment le délai de livraison. Ses équipes estiment qu’une maison de 200m² pourrait ainsi être imprimée en 20 heures.
Quand on demande au Dr Khoshnevis qui pourrait être intéressé par des délais de construction aussi courts, il répond « tous ceux qui perdent leurs maisons en quelques secondes suite à une catastrophe naturelle ».
Mais avant de photocopier des maisons dans des zones sinistrées, l’impression de bâtiment pourrait faire ses premiers pas sur la lune.
Imprimons d’abord sur la lune
Une fois encore, l’innovation dans le bâtiment pourrait être le fruit des avancées dans l’espace (les isolants à couches minces sont une déclinaison terrestre des technologies développées dans l’aérospatial).
En partenariat avec la Nasa, le Dr Khoshnevis travaille à mettre au point une version lunaire de son imprimante à bâtiments.
Pour remporter le titre de « premier à avoir construit sur la lune », l’European Space Agency s’est, quant à elle, associée à l’agence d’architecture Foster + Partners et à l’entreprise propriétaire de l’imprimante d’Enrico Dini, Monolite UK.
Pour faire fonctionner la D-shape, pas question d’amener du sable par fusée. Il faudra donc imprimer avec du régolithe, la roche qui se trouve sur la surface lunaire. Mais la principale contrainte n’est pas là. Sur la lune, la faiblesse de la force de gravité rend plus délicate la superposition de couches.
Des tests menés sous vide en laboratoire semblent montrer qu’en trempant la buse de la tête d’impression dans le matériau encore liquide, les forces de capillarité devraient suffire à maintenir les couches solidaires. En attendant de suivre cela en live depuis notre écran d’ordinateur, redescendons sur terre.
« Happening artistique » en Europe, process industriel en Chine
En mars dernier, le maire d’Amsterdam a présenté au Premier Ministre néerlandais et à son hôte de passage aux pays des polders, le Président américain, le projet d’impression, en bordure de canal, d’une maison à l’architecture flamande. Pilotée par l’agence d’architecture néerlandaise DUS, l’impression se déroule en ce moment sur site et tous les passants peuvent observer l’imprimante opérer.
Parallélépipède de un mètre et demi sur un mètre de base et de deux mètres et demi de hauteur, elle fabrique les éléments d’un puzzle 3D de maison en plastique. Mais, pour élever le bâtiment, la machine ne sera d’aucun recours. Ce sont les équipes de l’entreprise de construction Heijmans – société néerlandaise rachetée par Spie en 2009 – qui se chargeront d’assembler le squelette de plastique et de le recouvrir de béton.
Si sur les bords de l’Amstel, l’impression d’habitation a plus des allures de « happening artistique » que de prototype industriel, sur les rives de la rivière Huangpu, les imprimantes à bâtiments sont déjà intégrées à des process de préfabrication.
L’entreprise chinoise Winsun a fait parler d’elle en recourant à une imprimante 3D de plusieurs dizaines de mètres de long, dix mètres de large et sept mètres de hauteur, utilisant une « encre » constituée de ciment et de verre, pour concevoir une dizaine de maisons de 200m² en un temps record de 24heures.
Néanmoins elle est loin de s’être passée de la main de l’homme pour réaliser cet exploit. Les morceaux de murs imprimés ont été assemblés par des ouvriers qui ont ensuite ajoutés des éléments de structure et des menuiseries avant de coiffer le bâtiment d’une charpente métallique. L’impression 3D n’est ici encore qu’une étape d’une préfabrication visant à proposer des habitations à bas coût : moins de 4000 euros.
Néanmoins, si le chantier sans ouvriers n’est pas pour demain, cet exemple d’application industrielle de l’impression 3D laisse entrevoir le bouleversement que pourrait connaître le monde du bâtiment. Une imprimante sur un chantier, c’est la possibilité de photocopier des éléments constructifs en continu et de pouvoir, en cas de besoins, en quelques clics seulement, en réimprimer à d’autres formats.