L’un des tabous les plus fragrants de notre société est notre addiction à la (sur)consommation. Car le monde entier, et plus seulement occidental, a aujourd’hui une religion : la consommation. Persuadés qu’elle est la clé de notre bonheur individuel, nous cherchons à consommer toujours plus, quitte à nous endetter jusqu’au bord du précipice.
Persuadés qu’elle est la clé de notre bonheur collectif, nos hommes politiques ne parlent que de relancer ou d’augmenter la croissance et la consommation. Nouveau Dieu des temps modernes, la consommation n’est pas questionnée, sauf par quelques militants radicaux, qui servent de repoussoir au plus grand nombre pour éviter de se poser la question…
Peur de la décroissance, menace sur l’emploi, volonté d’accumuler les biens ou les profits, crainte d’amoindrir son confort matériel ou son statut social, souci de non-ingérence dans la vie privée et l’espace de liberté que constituerait la consommation individuelle, … : chacun d’entre nous, citoyen-consommateur évidemment, mais surtout dirigeant d’entreprise ou responsable politique, a au moins une bonne raison, et souvent plusieurs, de ne pas vouloir voir les excès qui caractérisent notre société de consommation. “Le mode de vie américain est non-négociable” avait annoncé, d’emblée, George Bush père à la conférence de Rio.
Nous avons même mis en place des indicateurs subtilement conçus pour masquer le problème : ainsi les émissions de CO2 d’un pays sont-elles calculées, non pas sur la base de ce qui est consommé dans le pays, mais en fonction de ce qui y est produit… ce qui permet d’accuser les Chinois (dont une partie des émissions est liée à ce qu’ils produisent pour nous) et d’afficher des réductions d’émissions (alors qu’elles augmentent en réalité).
De même, les chiffres nous enseignent que nous avons, en 30 ans, diminué de 30% les quantités de ressources naturelles nécessaires pour produire une unité de PIB… sauf que du fait de la croissance économique et de l’augmentation de la population, nos consommations globales de ressources naturelles ont dans le même temps augmenté de 50%. Autrement dit : l’explosion des ventes et la surconsommation font plus que compenser les progrès réalisés du côté de la production.
Notre refus de voir le problème est d’autant plus paradoxal que, comme le montrent psychologues, économistes et écologistes, la société de (sur)consommation génère plus de frustration que de satisfaction, épuise les écosystèmes et échoue à répandre le confort matériel sur le plus grand nombre… Contrairement à une idée reçue, les consommateurs sont sans doute ceux qui, sous l’influence de la crise, sont les plus prêts à une transformation et à un “allègement” de nos modes de vie.
Dans certains pays comme l’Angleterre, certains parlent même d’un “pic des objets” qui verrait, depuis le début des années 2000, notre consommation matérielle atteindre un seuil maximum puis décroître, alors que le PIB et la consommation continue à progresser.
Mais de manière générale, ces efforts de “désaddiction” ne sont que très insuffisamment accompagnés et encouragés. Nous avons besoin, venant du haut et notamment des gouvernements, d’une vision politique sur le sujet, d’un projet de société faisant moins de place au matérialisme, d’une autre morale du bonheur pour les temps post-consuméristes.
Pour aborder sereinement cette transition et faire émerger cette autre culture, de nombreux autres acteurs pourraient naturellement jouer un rôle – c’est tout autant vrai des philosophes et des penseurs, des célébrités, que naturellement des entreprises, des médias et de la communauté du marketing ou de la communication, qui ont contribué à façonner la culture de la (sur)consommation.
L’enjeu est d’importance, car il ne s’agit ni plus ni moins que d’inventer une autre vie sur terre et dans nos sociétés, ce qui est bien plus excitant qu’inventer “simplement” de nouveaux produits ou une meilleure consommation.