Extraits d’un article de l’historien Emmanuel Debono (Blog “Au coeur de l’antiracisme”/ Le Monde) sur la généalogie de l’idée de «Grand Remplacement» popularisée par l’écrivain Renaud Camus. Evidence ou fantasme ? L’article ne répond pas à la question.
J’évoquerai dans ce billet la thèse du « Grand Remplacement » dont on sait qu’elle repose sur l’idée d’une substitution, par le truchement d’une immigration fulgurante et d’une forte fécondité, de populations extra-européennes, principalement subsahariennes et maghrébines, au peuplement «originel» de notre continent. Elle annoncerait de fait un changement de civilisation.
Développée par l’écrivain Renaud Camus qui a sorti un ouvrage à son sujet en 2011 (Le Grand Remplacement, éd. David Reinharc), elle a rencontré des échos favorables au sein de la droite dite « réactionnaire », nationale-populiste et extrémiste. Certains en ont identifié la matrice dans l’extrême droite française. […]
On trouve sous la plume de Maurice Bardèche en septembre 1960, un texte qui, à première vue, ne semble pas éloigné de leurs craintes. Il paraît dans la revue néofasciste Défense de l’Occident dont Bardèche est le fondateur (Défense de l’Occident, « Le racisme, cet inconnu », septembre 1960). Rappelons que Maurice Bardèche (1907-1998), beau-frère de Robert Brasillach et lui-même écrivain polémiste d’extrême droite. […]
«La race blanche ne luttera plus pour sa prédominance économique ou politique, elle luttera pour sa survie biologique. (…) Demain, ce ne sont plus les prolétaires et les capitalistes qui se disputeront les richesses du monde, ce sont les Blancs, prolétaires et capitalistes unis, qui auront à se défendre, eux, race minoritaire, contre l’invasion planétaire.» […]
Bardèche désigne enfin une menace parmi les menaces : l’islam, qui « nous apporte ses colonnes de fourmis, ses taupinières géantes où travaillent les bestioles aveugles nourries du miel de la ruche ». Face à cette puissance, dont il faut souligner les deux caractéristiques dévastatrices que sont le nombre et la force aveugle – à l’image des migrants indiens qui échouent massivement en France dans le roman d’anticipation de Jean Raspail, Le Camp des Saints, publié en 1973 – l’homme blanc n’a d’autre issue possible que la résistance :
«L’homme blanc défend aujourd’hui l’homme de toutes les races contre la puissance de ce polypier géant. Si nous ne voulons pas devenir quelque espèce monstrueuse d’insectes, c’est maintenant que nous devons nous défendre. Et à cause de cela, il ne faut pas avoir peur de certains mots. Quoi qu’aient fait les Blancs dans le passé, la puissance de l’homme blanc est nécessaire aux Noirs autant qu’à nous.» […]
Ceux qui reprennent aujourd’hui à leur compte la thèse du « Grand Remplacement » ne placent pas tous leurs pas dans ceux de Maurice Bardèche. On lit, chez certains, un désarroi profond face à une tradition française d’assimilationnisme battue en brèche par le multiculturalisme et la promotion de la diversité. On y perçoit le rejet de l’immigrationnisme et du militantisme pour le «droit à la différence», appréhendés comme les ferments de la désintégration d’une certaine identité française, bousculée par la mondialisation. […]