A partir de l’année prochaine, les revenus générés par le pèlerinage à La Mecque progresseront régulièrement pour atteindre, à l’horizon 2020, 47 milliards de riyals [près de 10 milliards d’euros] par an, prévoient les économistes et les spécialistes. Un premier pic avait été atteint en 2012, avec 26,9 milliards de riyals [5,6 milliards d’euros]. En 2013 et 2014 en revanche, ces revenus ont chuté à 2 milliards d’euros, en raison des colossaux travaux en cours à La Mecque.
Par Yahia Al-Hajiri et Mounira Al-Saïd dans Al-Yaum (extraits) Dammam.
Ces travaux touchent à leur fin. Grâce à eux, les capacités d’accueil des deux lieux saints [La Mecque et Médine] doubleront : ils pourront recevoir 5 à 6 millions de personnes pour le grand pèlerinage [le hadj, qui a eu lieu cette année début octobre], explique Abed Al-Abdali, professeur d’économie à l’université de La Mecque. Quant au petit pèlerinage[oumra], qui se pratique tout au long de l’année, il devrait concerner 20 millions de personnes par an, et enregistrer des revenus de 25,8 milliards de riyals [5,4 milliards d’euros] d’ici à 2020, contre 21,5 milliards actuellement.
Hôtellerie. Les dépenses moyennes par personne s’élèvent à près de 8 000 riyals [1 700 euros]. La venue de ces pèlerins a donc de multiples répercussions sur l’économie du pays. Les secteurs immobilier et hôtelier se taillent la part du lion, avec 5 milliards de riyals en 1995, puis 11 milliards en 2012. L’hébergement représente en moyenne 40 % du budget d’un pèlerin, l’achat de souvenirs 14 % et la restauration 10 %. Selon le Pr Al-Abdali, les retombées du pèlerinage ne dépendent pas seulement du nombre de pèlerins, mais également de leur richesse. Ainsi, on s’attend à ce que les pèlerins originaires de pays à fort pouvoir d’achat dépensent plus. [L’Arabie Saoudite restreint le nombre de pèlerins de chaque pays musulman à 1 000 pour 1 million d’habitants.
Cette règle ne s’applique pas aux pays occidentaux, ce qui laisse d’importantes marges de progression.]
Depuis le début de l’exploitation de son pétrole, en 1939, l’Arabie Saoudite a consacré une large part de son budget à de nombreux chantiers d’infrastructures liés au pèlerinage. Rien que pour l’extension de l’enceinte sacrée à La Mecque ces dernières années, on évoque le chiffre de 200 milliards de riyals [42 milliards d’euros]. Ces investissements ne génèrent aucun revenu direct pour l’Etat, celui-ci ne prélevant pas de taxe sur les pèlerins.
En revanche, le secteur privé en profite, et à travers lui l’économie saoudienne dans son ensemble. Médine et La Mecque en bénéficient également largement : le pèlerinage fournit à Médine les deux tiers de ses ressources, et la majorité des habitants de La Mecque travaille dans le secteur du pèlerinage. L’économie de toute la région du Hedjaz [ouest du pays, sur la mer Rouge, où se trouvent La Mecque et Médine] repose depuis toujours sur le pèlerinage, rappelle Nadia Baechn, économiste et doyenne de la faculté de gestion de Djeddah.
Sur place, la prise en charge des pèlerins, la tawwafa, était traditionnellement assurée par de grandes familles de notables mecquois. Aujourd’hui, ajoute-t-elle, ce secteur est mieux exploité [avec des méthodes entrepreneuriales rationalisées].
Tourisme religieux. Nadia Baechn compare le rôle économique du pèlerinage à celui du parc d’attractions Disneyland pour la Californie. Selon elle, il faut développer l’industrie du tourisme religieux et en exploiter toutes les opportunités. Avec une bonne organisation et des investissements réalisés en partenariat avec des acteurs privés, ce secteur pourrait, à terme, rapporter autant que le pétrole.
Dans le même sens, Wafa’ Mahdar, professeure d’économie à l’université de La Mecque, estime qu’il faut mieux cerner les demandes spécifiques de chaque pèlerin, afin que tous repartent satisfaits des prestations offertes. Le pèlerinage se répercute également sur le taux de change du riyal. L’achat par les pèlerins étrangers de riyals saoudiens entraîne une appréciation de cette monnaie.
En revanche, leur forte consommation de produits importés a l’effet inverse.
D’où l’importance de remplacer ces articles importés par une production locale.
Salem Baajajah, doyen de la faculté d’économie de l’université de Taif, estime ainsi que le pèlerinage peut constituer un levier pour développer une industrie légère. “Aujourd’hui, nous n’avons pas d’industrie légère en Arabie Saoudite. Les cadeaux et souvenirs qui font partie intégrante de l’identité des lieux, les tapis de prière, les produits artisanaux, tout vient de Chine, explique-t-il. Il faut que les industriels saoudiens investissent ce secteur. Il faut les soutenir, leur donner les moyens financiers de construire des usines, créer des labels ‘made in La Mecque’, ‘made in Médine’. Le pèlerinage est une activité saisonnière. Il faut donc bien rentabiliser la période durant laquelle il se déroule.”
Mohamed Freihan, de l’Association économique saoudienne, abonde dans ce sens. Selon lui, il faudrait construire à La Mecque et à Médine un marché consacré à l’artisanat et au commerce des souvenirs. Selon Saïd Al-Bassami, vice-président des chambres de commerce saoudiennes, les transports sont également un domaine d’investissements importants.
Même si les transports en commun [dont un train à grande vitesse entre La Mecque et Médine, et un métro reliant les différentes étapes du pèlerinage] sont destinés à se développer, les minibus et les taxis ont encore un bel avenir devant eux. A cela s’ajoutent d’autres activités susceptibles de résoudre le problème du chômage des jeunes Saoudiens. Il faudra créer des petites entreprises, telles que des salons de coiffure, qui fonctionneront certes de manière saisonnière mais avec des marges importantes [les hommes sont invités à se raser entièrement la tête au cours du pèlerinage].
Gélatine. De son côté, Nasser Bassahl, de la chambre de commerce de Djeddah, préconise de saisir les opportunités offertes par le rite du sacrifice. Cinq millions de bêtes sont abattues chaque année dans la seule Arabie Saoudite. Une meilleure organisation du marché pourrait permettre de réduire les importations d’animaux au profit de la production locale.
On pourrait également exploiter la gélatine de mouton au profit de l’industrie pharmaceutique, d’autant que la majeure partie de la gélatine disponible sur le marché mondial provient du porc. Des investisseurs, en collaboration avec la Banque islamique, ont déjà ficelé un projet, qui démarrera l’an prochain.