Il n’y a d’ailleurs pas que les régulateurs et les banques françaises qui feraient mieux de cesser de se congratuler et d’envisager des outils de mesure différents de risque systémique.
Dimanche dernier, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, se vantait de “l’excellente” résistance des banques françaises aux tests de résistance, ou stress tests, européens. Beaucoup de ses homologues italiens et grecs ont peut-être été recalés, mais la France peut être fière de son secteur bancaire. “Les banques françaises sont les mieux placées dans la zone euro”, a déclaré M. Noyer. Pas si vite.
Deux jours plus tôt, un autre test révélait que le secteur bancaire français était le plus fragile d’Europe. L’équipe qui a eu le culot de jeter ce seau d’eau froide sur Paris travaille au si justement nommé Volatility Institute de la Stern School de l’Université de New York, et a livré ses conclusions à partir d’une saine distance : une conférence sur la finance donnée à l’Université de Michigan.
Le responsable, Viral Acharya, travaille sur les risques systémiques depuis la dernière crise, en essayant de concevoir un test de sécurité pouvant être exécuté à tout moment et indépendant des autorités de régulation.
En utilisant sa méthode, qu’il a baptisé SRISK, M. Acharya a constaté qu’en cas de crise, les institutions financières françaises auraient un déficit de capital de près de 400 milliards d’euros, pire que les États-Unis et le Royaume-Uni, malgré leurs secteurs financiers beaucoup plus importants. En examinant uniquement les banques françaises testées par la BCE, qui n’a trouvé aucun déficit de capital, SRISK est parvenu à 189 milliards d’euros.
M. Acharya n’a pas eu le soutien des 6 000 fonctionnaires qui ont parcouru les bilans à travers l’Europe pour évaluer la santé des banques du continent. Mais ses résultats, qui ont des implications pour les autres pays, dont la Chine, ne doivent pas être ignorés.
Prenez la Société Générale. La deuxième plus grande banque française en valeur de marché a bien résisté au test de la BCE. Mais d’après M. Acharya, la banque risque un lourd déficit de capital en cas de crise. Quelques raisons importantes qui expliquent cette différence.
Tout d’abord, SRISK prend en compte le bilan total de la banque, sans distinction sur le risque : contrairement à la BCE, il ne fait pas de distinction entre 1 million d’euros de ‘Bunds’ allemands et un prêt de 1 million d’euros à un agriculteur alcoolique propriétaire d’un vieux tracteur.
Ensuite, il ne se soucie pas de la valeur comptable des capitaux propres des banques ; il utilise ce que le marché boursier en dit. Selon la méthode de la BCE, la Société Générale a 36,6 milliards d’euros de capitaux propres aujourd’hui, et en cas de crise, aurait 30,7 milliards d’euros de capitaux propres contre 377 milliards d’euros d’actifs pondérés par le risque. Cela équivaut à un ratio de capital passable de 8,1 %, même en cas de récession sévère.
Selon la méthode de M. Acharya, la banque a seulement 30 milliards d’euros de capitaux propres au prix du marché aujourd’hui, contre 653 milliards d’euros d’actifs, pour un ratio désastreux de capital de 0,05 %. En cas de crise, lorsque les valeurs de marché plongeraient, la Société Générale aurait un passif net de plus de 60 milliards d’euros.
Se servir de la Bourse pour calculer les fonds propres d’une banque expose SRISK à l’optimisme ou au pessimisme irrationnels des investisseurs.
Mais M. Acharya trouve trois bonnes raisons de l’utiliser. “Les marchés nous disaient que les surprimes TGC [titres garantis par des créances] étaient devenues mauvaises en qualité et en liquidité ; mais pas les valeurs comptables et de pondération des risques réglementaires” dit-il.
“Il est également plus difficile pour les directions de manipuler les valeurs de marché en minimisant les pertes ou provisions. Enfin, les crises bancaires sont causées par l’assèchement du crédit par les financiers. Les financiers ne sont pas intéressés par les valeurs comptables ou le capital réglementaire en soi, mais ils veulent savoir si l’entreprise peut lever des capitaux pour les rembourser si nécessaire. Ce que la valeur de marché fait mieux”.
Il n’y a pas d’ailleurs que les régulateurs et les banques françaises qui feraient mieux de cesser de se congratuler et d’envisager des outils de mesure différents de risque systémique.
Le SRISK de l’Europe dans son ensemble a baissé depuis 2011, avec le désendettement des bilans après la crise de la zone euro. Le risque systémique aux États-Unis a également diminué de moitié depuis 2008. Mais le risque en Chine a augmenté de façon significative et dépasse maintenant celui des États-Unis. Selon, M. Acharya, le problème risque d’être sous-estimé en raison des quantités de dette hors-bilan en Chine.
Aux États-Unis, l’effet de levier de JPMorgan Chase pourrait être bien meilleur que celui de ses homologues français, mais son SRISK est plus important : une impasse de 98,4 milliards d’euros en cas de crise. MetLife, qui envisage de poursuivre le gouvernement américain pour l’avoir désignée comme société d’importance systémique, se trouve poser un risque systémique plus important que Goldman Sachs.
Si vous croyez que les entreprises financières évaluent toujours correctement leurs actifs et n’essayent jamais de maquiller la valeur de leurs fonds propres, et si vous croyez que les fonctionnaires font toujours preuve de diligence dans l’examen de la comptabilité des banques, alors le SRISK est inutile.
Mais si vous croyez cela, c’est que vous n’étiez pas très attentif durant cette dernière décennie.