Le gouvernement français a donc finalement décidé d’ajourner la livraison des deux bâtiments de guerre à la Russie. Cette décision survient après plusieurs mois d’atermoiements qui n’ont pas renforcé la crédibilité diplomatique de la France. Mais au delà de cette décision, l’affaire des Mistral a été l’occasion d’un festival de déclarations et de postures dignes de la plus belle foire d’hypocrites.
Par Philippe Juvin
Hypocrisie du gouvernement
qui assure à la fois les deux camps, russe et européen, de sa bienveillance. On rassure les Russes en affirmant que «deux Mistral ne changeront pas la face de la marine russe», et on décide (sur quelle base juridique?) d’ajourner leur livraison. Hypocrisie qui laisse les marins russes s’entrainer sur le Vladivostok mais cosigne l’embargo européen sur les armes.
Hypocrisie des Allemands.
Champions de la fermeté face à Poutine, ils exigent des Français l’annulation des contrats, mais se vautrent en même temps dans un état de dépendance énergétique vis à vis des Russes. Pourquoi ne s’appliquent-ils pas à eux-mêmes les mêmes exigences de fermeté et continuent-ils à acheter le gaz russe à prix d’or? Car, au fond, comment les Russes payent-ils les bateaux si ce n’est avec les euros payés par les Allemands pour leur énergie?
Hypocrisie des Polonais, Finlandais, Baltes,
dont la crainte des Russes est évidemment justifiée par l’Histoire. Mais qui sont plus prompts à dénoncer le risque russe que de s’en affranchir. Comme les Allemands, ils hurlent au loup mais lui achètent massivement leur gaz, incapables d’avoir créé les conditions de leur indépendance énergétique. Hypocrisie de ces mêmes Polonais et des pays baltes qui appellent à la solidarité de défense européenne, mais dont aucun avion de chasse n’a jamais été acheté en Europe.
Hypocrisie des Etats membres de l’Union
qui exigent que la France ne livre pas les Mistral au nom de la sécurité commune mais qui, désarmés, comptent sur les Français et les Britanniques pour défendre leurs intérêts dans le monde quand ils sont menacés.
Hypocrisie des mêmes qui prétendent que nos deux bateaux menacent leur souveraineté mais qui la bradent sans sourciller en accordant à la Russie des contrats léonins et souvent juridiquement contestables (South Stream) qui les lient définitivement.
Hypocrisie des Américains
qui cachent derrière une haute exigence morale leur intérêt direct à voir remise en cause la crédibilité de la signature de la France. D’un strict aspect commercial, ne pas honorer la livraison des bateaux sans y être contraints par un embargo international revient en effet à donner un très mauvais signal à de futurs clients. Quelle aubaine pour les concurrents de nos industries de défense, en particulier américains!
Que les choses soient claires: même si la France a une longue histoire commune avec la Russie, même si celle-ci est une grande puissance avec laquelle l’Europe devra toujours compter,
la remise en cause des frontières opérée par Vladimir Poutine est très dangereuse.
Car il y aura toujours un russophone pour appeler au secours la Sainte patrie.
Son attitude met gravement en cause la stabilité de l’Europe.
Mais l’indépendance de l’Europe est plus menacée par sa faiblesse énergétique, diplomatique et militaire que par deux bateaux.
C’est en acquérant une autonomie énergétique que l’Europe se fera respecter. C’est en achetant européen dans les marchés de défense qu’elle renforcera sa sécurité. C’est en cessant d’être dépendante au plan diplomatique, industriel et militaire qu’elle sera protégée.
Il est temps que nos partenaires européens fassent le choix d’une Europe puissance et cessent de se draper dans une indépendance de façade.