Dix ans après l’Appel de Paris, le cancérologue Dominique Belpomme espère faire reconnaître la pollution comme “crime de santé publique”.
À l’origine du plan cancer sous Chirac, le professeur Dominique Belpomme*, cancérologue de renom, a été le premier à ouvrir une consultation en médecine environnementale et à alerter sur le rôle des champs électromagnétiques dans différentes maladies comme celle d’Alzheimer. En 2004, il s’était entouré de scientifiques et d’écologistes pour lancer l’Appel de Paris. Dix ans après, alors que s’ouvre, ce vendredi à la maison de l’Unesco, le colloque anniversaire, Dominique Belpomme espère faire reconnaître la pollution comme “crime de santé publique”.
Le Point.fr : Il y a dix ans, vous lanciez l’Appel de Paris, une déclaration internationale visant à alerter sur les dangers de la pollution chimique (signée notamment par Claude Levi-Strauss et les Nobel François Jacob, Jean Dausset et Luc Montagnier, Nicolas Hulot…). Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Dominique Belpomme : Il y a eu des effets positifs plus ou moins directs, comme le système REACH au niveau européen (un système intégré d’enregistrement, d’évaluation, d’autorisation et de restrictions des substances chimiques, NDLR) ou le Grenelle de l’environnement en France, mais c’est insuffisant face au défi que nous avons à relever, d’autant que le nombre de victimes a considérablement augmenté.
Le plus grave, c’est qu’il y a un déni politique quasi complet vis-à-vis des données scientifiques actuelles. La révolution médico-scientifique est faite ; on sait maintenant que la plupart des maladies sont liées à des facteurs environnementaux, et pas uniquement à des facteurs liés aux modes de vie. Mais les savants ne sont plus écoutés par les pouvoirs publics comme au temps de Pasteur…
Qu’attendez-vous de ce nouveau colloque ?
Puisque les politiques n’ont pas compris, il faut passer à la morale et au droit. Mon but est de faire reconnaître par la Cour pénale internationale la pollution et la destruction de la nature comme crimes de santé publique.
Vous dites que trois cancers sur quatre sont liés à l’environnement. Vous faites même un lien entre pollution et autisme…
On a des malformations congénitales en augmentation considérable. Un enfant sur dix naît aujourd’hui avec une malformation congénitale ou une maladie rare. On est passé d’un facteur de 1 à 1 000 en vingt ans.
Le meilleur exemple, c’est en effet l’autisme : un enfant sur 80 naît autiste dans les pays dits développés ; il y a 20 ans, c’était un enfant sur 10 000. Pour l’autisme, on sait maintenant que c’est lié à la pollution chimique (avec les pesticides organo-chlorés et le mercure notamment dans les amalgames dentaires des mères) et à la pollution des champs électromagnétiques.
Comment êtes-vous sûr que cette augmentation des maladies est liée à la pollution ?
Nous avons des études épidémiologiques concordantes, et surtout une approche toxicologique qui nous permet de reproduire la maladie en laboratoire (chez l’animal notamment) et de constater les mêmes lésions. Et enfin, une approche biologique. Ce qui nous permet de dire irréfutablement que nous sommes dans des liens de cause à effet concernant les polluants et les maladies actuelles.
Quelles sont ces nouvelles “maladies de l’environnement” ?
Le cancer est en augmentation exponentielle, mais aussi le diabète de type II, les allergies (un Français sur trois est allergique)… On vient de démontrer que l’obésité est également une maladie de l’environnement, causée par des polluants chimiques notamment. À cela s’ajoute la maladie d’Alzheimer, qui, selon les prévisions de l’OMS, devrait doubler tous les 10 à 12 ans.
Lors de ce colloque, vous, avec d’autres scientifiques, souhaitez alerter le grand public sur une pollution invisible et omniprésente en ville : les champs électromagnétiques.
En plus de la pollution chimique vient s’ajouter maintenant la pollution électromagnétique (émise par les antennes-relais, portables, Wi-Fi…, NDLR).
Nous pouvons maintenant affirmer avec une quasi-certitude que les champs électromagnétiques sont néfastes pour la santé.
On dit qu’il n’y a pas d’études concluantes. L’ex-secrétaire d’État au Numérique Fleur Pellerin a déclaré que la dangerosité des ondes n’était pas “étayée”, le ministère de l’Éducation nationale développe le Wi-Fi dans les écoles…
Nous sommes dans des discours d’opinion ; il y a des milliers d’études ! Le rapport BioInitiative (qui fait la synthèse de 3 000 à 4 000 articles scientifiques) démontre que les champs électromagnétiques présentent un risque cancérigène, que ce soit pour les basses ou les hautes fréquences. Le risque pour un enfant de faire une leucémie est multiplié par deux si cet enfant habite à moins de 600 mètres d’une ligne à haute tension (basses fréquences).
Concernant les hautes fréquences (ou radiofréquences, comme les portables et téléphones sur socle, dits DECT), on constate essentiellement des tumeurs cérébrales homolatérales. L’étude Interphone démontre un risque multiplié par cinq de cancers du cerveau chez les sujets de moins de 20 ans.
Dans vos consultations, vous recevez des patients dits “électro-hypersensibles”…
J’ai vu le plus grand nombre de malades dans le monde (1 200). Ce sont des gens qui ont abusé six fois sur dix du portable ou du DECT, ou qui ont une véritable addiction à l’ordinateur (en mode Wi-Fi), ou encore qui ont la malchance d’habiter à côté d’un transformateur électrique, d’une ligne à haute tension ou d’un pylône antenne-relais. Les symptômes sont souvent des migraines, acouphènes avec pertes d’équilibre, malaises, eczéma, raideur de la nuque, troubles cognitifs, pertes de mémoire immédiate, absences…
Ces gens-là arrivent après un parcours médical impressionnant, ils ont parfois vu trois neurologues avant qu’on ne leur dise : “C’est dans votre tête !” Alors qu’ils sont dans des situations pré-Alzheimer ! J’ai vu un gamin de 15 ans arriver ici au bras de sa mère car il était incapable de s’orienter. Il avait dormi quatre ou cinq ans avec son portable sous l’oreiller ! Les champs électromagnétiques ont un rôle à jouer dans l’Alzheimer, mais aussi, d’après mes travaux, dans certaines scléroses en plaques ou dans la maladie de Parkinson.
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Notes :
* Le professeur Dominique Belpomme est cancérologue, président de l’Artac (Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse). Il est l’auteur de Ces maladies créées par l’homme (Albin Michel 2004) et Guérir du cancer ou s’en protéger (Fayard, 2005).