À force d’augmenter les impôts, ils finissent par ne plus rentrer comme prévu. En 2014, les recettes fiscales nettes devraient ainsi être inférieures de 11,5 milliards aux prévisions de la loi de finances initiale (LFI). Sur ce total, plus de la moitié (6,1 milliards) sont imputables à l’impôt sur le revenu. Soit un recul de 8 % par rapport à l’estimation de départ.
Le phénomène est d’autant plus inquiétant qu’il est durable, puisqu’il se produit pour la deuxième année consécutive (l’écart avait atteint près de 5 milliards en 2013). Il concerne principalement l’évolution spontanée des recettes – en dehors des nouvelles mesures -, négative cette année alors qu’elle devait être largement positive.
«Force est de constater qu’aucune analyse sérieuse des causes de l’affaissement du produit de l’IR n’a été fournie», déplore à nouveau Valérie Rabault, la rapporteuse générale, PS, du budget à l’Assemblée, dans son récent rapport sur le budget rectificatif pour 2014, alors qu’elle en avait déjà fait la demande en octobre.
Christian Eckert, le secrétaire d’État au Budget, a tenté lundi d’apporter des réponses, sans lever les incertitudes. Les 6,1 milliards manquants seraient liés, selon lui, à la reprise d’une partie de l’écart de 2013 (à hauteur de 1,8 milliard et ce, sans que l’on comprenne pourquoi ou comment) et au geste fiscal pour les plus modestes (de plus d’un milliard) voté cet été en loi de finances rectificative.
Ils s’expliqueraient aussi (à hauteur de 3,3 milliards) par une «importante moins-value sur les revenus des capitaux mobiliers» et les plus-values mobilières, et par une baisse des bénéfices, notamment des artisans qui les intègrent dans leur revenu imposable.
La surestimation initiale de la croissance (prévue à 0,9 % en LFI, contre 0,4 % anticipé aujourd’hui) a certes en partie joué. Mais certains y voient surtout l’illustration de la célèbre courbe de Laffer, selon laquelle «trop d’impôt tue l’impôt», en générant des stratégies d’évitement. Notamment en réaction à l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail, décidé par le gouvernement.
«Sur les plus-values mobilières, il est possible que certains chefs d’entreprise reportent des opérations, ou attendent de se délocaliser dans des pays où la législation est plus favorable. Il est probable aussi que certaines structures versent moins de dividendes à leurs actionnaires, de façon à alléger leur imposition à l’ISF et à l’IR», suggère Gilles Carrez, le président UMP de la commission des finances à l’Assemblée.
Et l’élu de l’opposition de conclure: «Les revenus du capital étant très mobiles, les acteurs ont adapté leur comportement, ce qu’a sous-estimé le gouvernement.» À cela, on peut ajouter d’autres hypothèses: réduction volontaire d’activité, hausse du travail au noir, contribuables s’installant à l’étranger…
35 % de hausse depuis 2011
L’ennui, c’est que le phénomène a toutes les chances de se reproduire en 2015. Ce qui fragilise encore un peu plus les prévisions budgétaires de la France. Le gouvernement anticipe en effet une hausse de 1,2 milliard de l’IR, liée notamment à une croissance anticipée à 1 %. Le produit de cet impôt atteindrait 69,5 milliards, en augmentation de 35 % par rapport à celui de 2011. Rien de moins.
Le tout en supprimant la première tranche de l’impôt sur le revenu, qui va bénéficier à 9 millions de foyers fiscaux pour un coût de 3,2 milliards. L’équation suppose donc une augmentation de 4,4 milliards sur les quelque 17 millions de foyers qui continueront à s’en acquitter. Sauf si certains cherchent encore à y échapper…
36.700 Ménages ont payé 10% de la facture en 2013
L’an prochain, la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu (IR) va accentuer la concentration de l’IR. Or elle est déjà spectaculaire. Ainsi, 10 % des foyers fiscaux (les 3,67 millions les plus aisés) ont payé 67 % de l’impôt sur le revenu en 2013, selon les derniers chiffres fournis par Bercy à la commission des finances de l’Assemblé.
Si l’on affine encore, 1 % des foyers (367 000) se sont acquittés de 30 % du total, et 1 pour 1000 – 36 700 ménages – ont réglé 10,4 % de la facture totale. «Il y a une grande fragilité de notre impôt sur le revenu, qui repose sur un très petit nombre de personnes», résume Gilles Carrez, le président de la commission.
En clair, l’État a toutes les chances de se retrouver démuni si les plus aisés quittent le pays ou accélèrent leurs stratégies d’optimisation fiscale. Au total, seuls 17 millions de foyers fiscaux (sur 36,5 millions) paieront l’IR en 2015, soit 46,4 % des foyers fiscaux.
(Merci à Ubu)