Après cinq ans de travail acharné, Naomi Klein a sorti un livre qui risque encore de faire des remous: “This changes everything: capitalism vs the climate”. La dernière publication de la célèbre journaliste et activiste canadienne fait suite à ses deux best-sellers internationaux: “La Stratégie du choc” (publié en 2007) et “No Logo” (sorti en 2000).
De passage à Amsterdam fin novembre, Naomi Klein a attiré plus de 700 personnes lors d’une soirée co-organisée par l’Institut américain John Adams. Dans son livre, l’auteure explique l’échec, jusqu’à présent, des efforts pour résoudre le problème du réchauffement climatique par la collision frontale entre la montée du néolibéralisme, depuis la fin des années 80, avec les premiers signes et avertissements de la crise climatique au même moment.
“Cette crise est survenue à un moment particulièrement mauvais”, a-t-elle relevé. En résumé, les sociétés ont eu le droit de poursuivre des bénéfices à court-terme. La privatisation et la déréglementation ont été encouragées, alors qu’il aurait au contraire fallu promouvoir la coopération et l’action collective, selon elle.
A présent, il serait temps d’agir vite: “Les délais peuvent aider, mais nous sommes à la limite ultime. Nous n’avons plus d’extension. Nous devons travailler ensemble et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre”, a-t-elle exhorté son public en prélude à la Conférence de Lima en décembre 2014 et de la Conférence de Paris en décembre 2015.
La Suisse est un petit pollueur sur le plan mondial (0,1% du total des émissions mondiales de 49 milliards de tonnes d’équivalents CO2 en 2012), mais “elle a de fortes cibles de réduction d’émissions. C’est fantastique pour la stratégie climatique et nous avons besoin de ce genre d’ambition”, a-t-elle déclaré à Bilan.
Dans le rapport de la Banque mondiale sorti fin novembre et intitulé “Baissons la chaleur”, on peut y lire que ”si nous n’engageons pas une action concertée pour réduire ces émissions, la planète est bien partie pour se réchauffer de 2 °C (par rapport à l’ère préindustrielle, ndlr) d’ici 2050 et de 4 °C d’ici 2100 — 2100, ce n’est pas si loin: les adolescents d’aujourd’hui auront alors 80 ans”.
Souvent radicale dans ses propos, Naomi Klein a aussi le don de voir venir les mouvements sociaux forts.
Entamé il y a cinq ans, c’est-à-dire environ un an après la crise bancaire et financière mondiale de l’automne 2008, le livre est sorti le 16 septembre aux États-Unis, quelques jours avant la marche mondiale pour le climat et deux semaines avant le sommet de l’Organisation des Nations-Unies à New-York sur le même thème.
Le chapitre 8 du livre, particulièrement déroutant, s’intitule “Atténuer le soleil: la solution à la pollution est… la pollution?”, dans lequel elle explique en détail les idées de projets de géoingénierie en cours pour modifier délibérément le climat à grande échelle. A titre d’exemple: l’injection de dioxyde de sulfure dans la stratosphère, pour reproduire artificiellement l’explosion de grands volcans comme le Mont Pinatubo aux Philippines en 1991.
Celui-ci a eu pour effet, quelques mois après son éruption, de réduire la température globale d’un demi degré Celsius. Mais aussi de jouer un rôle prépondérant dans la baisse record des précipitations terrestres et dans les conditions de sécheresses associées en 1992, d’après un papier du Centre National pour la recherche atmosphérique au Colorado qu’elle cite dans son livre.
La géoingénierie n’est plus de la science-fiction. Comme l’attestaient déjà Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner en 2009 dans “Super Freakonomics”, avec un chapitre consacré à la geoingénierie intitulé “What do Al Gore and Mount Pinatubo have in common?”, et que Naomi Klein attaque farouchement dans son livre pour ses descriptions “émerveillées”.
La géoingenierie est en passe de devenir une réalité et, comme le craint la journaliste, risque peut-être un jour de remplacer le plan A de réduire les émissions si nous continuons à ne rien faire, au lieu de rester un plan B de dernier recours. Mais avons-nous, comme elle se le demande, vraiment essayé le plan A?
Gates et Branson critiqués
Bill Gates a investi au moins 4,6 millions de dollars dans la recherche sur le climat, l’essentiel de ce montant ayant été investi dans des thèmes liés à la géoingenierie, affirme-t-elle dans son livre. Un investissement apparemment décrit par Bill Gates comme “une police d’assurance”, quelque chose à avoir “dans sa poche au cas où les événements se dérouleraient plus rapidement”.
Paradoxalement, l’homme le plus riche du monde est également investi à hauteur de près d’un milliard de dollars dans les deux géants du pétrole, ExxonMobil et BP, à un moment où le mouvement de désinvestissement dans les combustibles fossiles s’intensifie.
Contactée par Bilan, la fondation Bill et Melinda Gates à Seattle a répondu que l’entité “Gates Foundation Asset Trust”, qui gère ses avoirs, n’offre pas de commentaires sur ses décisions d’investissement, stratégies ou holdings.
Richard Branson n’échappe pas non plus à la critique, avec son ambition de commencer une population sur Mars. Naomi Klein relève non sans ironie dans son livre qu’il est très intéressant de constater que tant de figures-clé de la géoingenierie partagent un fort intérêt pour l’exode planétaire. Car il est bien plus facile d’accepter, selon elle, la perspective d’un plan B irréfléchi et à hauts risques quand on a un plan C dans son autre poche…
(Merci à Percy)