La trentaine de salariés toulousains qui répondent au « 115 », le numéro national d’appel d’urgence pour les sans-abri, a symboliquement cessé le travail pendant deux heures lundi 8 décembre.
Ils protestent contre le nombre « misérable » de places qu’ils ont à offrir aux gens à la rue : « A quoi sert de faire fonctionner une plateforme téléphonique si c’est pour opposer un refus, dans 95 cas sur 100, faute de place ? », s’exaspère Sylvie Fernandez, éducatrice spécialisée au service du 115 local.
« Le département offre 2 000 places alors qu’il en faudrait 500 ou 600 de plus. Être chaque jour confronté à la détresse sans pouvoir y répondre est désespérant », poursuit l’éducatrice. Le 2 décembre, une grand-mère est morte dans sa voiture, qu’elle habitait avec ses enfants et petits-enfants, alors que cette famille réclamait un hébergement chaque jour depuis six mois, rapportent les grévistes.
Leur mobilisation n’a pas été inutile. Mardi 9 décembre, la préfecture a annoncé aux représentants du collectif de quatorze associations l’ouverture de 40 places nouvelles pour des femmes et les familles jusqu’en mai. « C’est un effort, reconnaît Jean-Louis Thenail, représentant de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) Midi-Pyrénées, mais cela ne compense pas le retard de notre département. » Le collectif appelle à une nouvelle manifestation le 12 décembre avec un dépôt de matelas devant la préfecture.
Tout se conjugue, à Toulouse comme ailleurs, pour engorger le modèle français d’accueil d’urgence, le fameux SAMU social mis en place à Paris en 1993 par le médecin Xavier Emmanuelli, et étendu à tout le territoire en 1997.
Il y a la crise économique, bien sûr, qui accroît la précarité et le nombre d’expulsions, mais aussi les migrants qui demandent l’asile en nombre croissant, et dont les centres d’accueil sont saturés. Il faut aussi composer avec le manque de logements sociaux et très sociaux qui permettraient de libérer des places dans les centres d’hébergement et de réinsertion. Les crédits ont beau augmenter, de 5 % cette année, ils restent insuffisants face à une demande qui explose.
Dans son portrait social de la France publié en novembre, l’Insee évaluait à 112 000 le nombre de personnes sans domicile (c’est-à-dire sans logement personnel, mais pas sans abri), dont 31 000 enfants. Ce chiffre est en augmentation entre 2001 et 2012 de 44 % sur tout le territoire, mais de 84 % pour la seule agglomération parisienne.
À Lille, près de 400 personnes à la rue en demande d’abri se retrouvent, chaque jour, sur liste d’attente. Elles sont 500 à Lyon, 100 à Bordeaux et 200 dans le Val-d’Oise, démontrant que de nouveaux territoires périurbains sont désormais concernés. À Paris, la situation est critique : le 115 reçoit, en moyenne, 5 000 à 6 000 appels par jour – avec des pics à 18 000. Il ne répond qu’à 1 300 personnes et ne propose de solution qu’à 700 demandeurs, et encore, grâce aux places dites hivernales, ouvertes en catastrophe dans certains gymnases.
La proportion grandissante de familles avec enfants – près de 40 % des demandeurs en 2013 – est inquiétante. Le 115 de Paris hébergeait à l’hôtel 29 000 personnes en famille en 2013, alors qu’ils n’étaient que 4 000 en 2004.
Il en coûte, au seul département de Paris, 170 millions d’euros par an de nuitées d’hôtels, à raison de 17 euros par nuit et par personne, et 1,3 milliard d’euros au plan national.
« Nous devons faire appel à des établissements de plus en plus éloignés de Paris et à des intermédiaires pour réserver les chambres, explique Erwan Le Méner, sociologue à l’observatoire du SAMU social de Paris. Sans pour autant assurer le moindre accompagnement social ni, surtout, permettre aux familles de s’insérer quelque part, de scolariser leurs enfants, se soigner, prévoir et organiser leur vie… »
« Limiter le recours aux hôtels »
« Nous avons hérité d’un parc de centres d’hébergement pour célibataires complètement inadapté aux familles, constate Florent Guéguen, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale. Chaque jour, dès 10 heures du matin, toutes les places sont prises. Les pouvoirs publics semblent peu intéressés par la mise en œuvre d’une vraie politique pour sortir de l’urgence et de l’instabilité imposées aux familles. »
Pour M. Guéguen, il faut « limiter le recours aux hôtels, mobiliser les logements vacants du parc social et faire appel aux bailleurs privés, en leur proposant des baux garantis ».
Il faut également construire du logement très social et des centres d’hébergement adaptés, mais de tels chantiers se heurtent parfois à la résistance des maires. Ainsi, un projet de construction de centre d’hébergement à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne) de 82 places réservées à des familles, finalisé et financé, ayant obtenu son permis de construire et ses prêts, est contrecarré par Françoise Lecoufle, maire (UMP) élue en mars : « C’est vrai que je fais tout pour empêcher cette construction voulue par mon prédécesseur, argumente-t-elle, car, bien que j’aie ouvert sept classes cette année, je n’ai pas de places dans les écoles pour les enfants de ces familles. La population est en forte augmentation et nous comptons déjà 30 % de logements sociaux. »