L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévient dans son dernier rapport annuel : la planète pétrole est en passe d’entrer dans une zone à très haut risque, en dépit de ce que pourrait laisser croire la chute actuelle des cours de l’or noir. Conséquence de la révolution du pétrole “de schiste” aux Etats-Unis et du ralentissement de la croissance mondiale, la baisse spectaculaire des prix du baril menace de tarir les investissements indispensables pour repousser le spectre du pic pétrolier, confirme l’AIE.
Le chef économiste de l’AIE, Fatih Birol, avertit :
“L’image à court terme d’un marché pétrole bien approvisionné ne doit pas masquer les risques futurs (…), à mesure que s’accroît la dépendance vis-à-vis de l’Irak et du reste du Moyen-Orient.”
Le Dr Birol ne se risque pas à dire combien de temps pourrait durer la chute actuelle des cours du baril (en marge d’une présentation à Bruxelles, il évoque néanmoins mezza voce une période de deux ans, “peut-être”), mais quoi qu’il en soit selon lui, la tendance à terme est nécessairement à la hausse du prix de l’or noir. Il pronostique :
“Compte tenu du temps nécessaire pour développer de nouveaux projets d’extraction, les conséquences d’un manque d’investissements pourraient mettre du temps à se matérialiser. Mais des nuages commencent à s’accumuler sur l’horizon à long terme de la production mondiale de pétrole ; ils charrient devant nous de possibles conditions tempétueuses.”
Le profil de la tempête potentielle se dessine à l’examen du graphe de l’AIE reproduit ci-dessus :
– le boom de la production américaine devrait prendre fin avant la fin de la décennie (conformément au diagnostic le plus récent de l’administration Obama) ;
– en dehors des Etats-Unis, il n’y a pas de réplique significative à attendre de ce boom du pétrole “de schiste” (ou de roche-mère, à proprement parler) ;
– les pétroles non-conventionnels nord-américains (pétrole de roche-mère aux Etats-Unis, sables bitumineux au Canada) ne suffiront pas à eux seuls à apporter une compensation des sources conventionnelles de pétrole en déclin ;
– déjà plus que délicat à maintenir lorsque le baril était au-dessus de cent dollars (tout particulièrement pour les “majors”), le gigantesque effort d’investissement – de l’ordre de 500 milliards de dollars par an –, nécessaire afin de compenser le déclin naturel de nombre de sources de brut majeures anciennes et parvenues à maturité, apparaît d’autant plus difficile à pérenniser maintenant que le baril est tombé à 80 dollars, souligne l’AIE, en particulier pour ce qui concerne les sables bitumineux et les forages ultra-profonds au large du Brésil. En juin, alors que le baril était encore à 115 dollars, le pétrolier français Total remisait dans ses cartons un projet à dix milliards de dollars au Canada, parce qu’il n’offrait pas une rentabilité suffisante.
Désormais, le Financial Times signale l’émergence de problèmes très substantiels de rentabilisation pour les projets offshore, et rend compte des vives tensions qui partagent les pays membres de l’Opep. Le rythme des forages dans le pétrole de roche-mère au Etats-Unis paraît fléchir ces dernières semaines, constate par ailleurs l’agence Bloomberg ;
– last but not least (at all), en rouge sur le graphe, ce qui s’appelle “Middle East” correspond pour l’essentiel à la croissance attendue de la production de brut irakienne. On appréciera les implications géostratégiques vertigineuses – glaçantes ? – de l’importance future, bien davantage cruciale encore qu’aujourd’hui, que l’AIE attribue à la production de l’Irak (pays peu ou prou en état de guerre ou sous embargo depuis 34 ans), tandis que le Dr Birol constate, sans surprise, que “l’appétit” des investisseurs pour l’Irak apparaît ces temps-ci un tantinet maigrichon…
Sur le front du climat, l’accord entre Etats-Unis et Chine intervenu la semaine dernière est à juste titre qualifié d’“historique” par Fatih Birol.
Le président Barack Obama a engagé les Etats-Unis à réduire de 26 à 28 % leurs émissions de CO2 en 2025, par rapport au niveau de 2005. Le président chinois Xi Jinping, en retour, assure que les émissions chinoises atteindront un pic “vers 2030”.
Cet accord est historique ne serait-ce que parce qu’il entérine la très forte probabilité d’une altération irréversible du climat (certes là encore sans surprise).
L’avenir du charbon chinois est l’autre nouvelle majeure que recèle le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie :
l’AIE table (avec “un niveau élevé de confiance”, précise Fatih Birol) sur l’amorce en cours d’un plafonnement de la consommation chinoise de charbon.
Avec quoi la Chine choisit-elle désormais de s’alimenter prioritairement en énergie, tout en réduisant l’intensité de ses émissions de gaz à effet de serre ?
Le développement du nucléaire en Chine promet d’être non moins spectaculaire que celui des énergies renouvelables planifié par Pékin :
130 gigawatts (GW) supplémentaires en 2040, c’est près du double du parc nucléaire français, et environ un tiers de plus que la totalité du parc nucléaire américain, le premier du monde à l’heure actuelle. La Chine dispose aujourd’hui d’une capacité nucléaire de 12 GW.