En dépit de ses vertus en matière de respect de l’environnement et de préservation de la biodiversité, l’agriculture biologique est souvent reléguée au rang d’alternative marginale, définitivement incapable de nourrir les plus de neuf milliards d’humains que comptera la planète en 2050, dont un quart sur le continent africain.
Il est vrai que, fin 2011, elle n’occupait que 37,2 millions d’hectares dans le monde, soit seulement 0,9 % de la surface agricole totale, même si, entre 2000 et 2010, son emprise territoriale a été multipliée par 2,4. Mais ses détracteurs lui reprochent surtout ses piètres rendements, comparés à ceux de l’agriculture conventionnelle.
Or, une « méta-étude » américaine, publiée, mardi 9 décembre, dans les Proceedings of the Royal Society (l’équivalent britannique de l’Académie des sciences française), redore quelque peu le blason de ce mode de culture qui proscrit les intrants chimiques, engrais, pesticides et autres produits phytosanitaires. Elle conclut que le déficit de productivité des méthodes biologiques par rapport à l’agriculture intensive, ou industrielle, est moins important que ne l’affirmaient de précédents travaux. Et, surtout, qu’il est possible de réduire cet écart.
Meilleurs rendements avec la polyculture
Les dernières grandes études internationales sur le sujet, conduites l’une par le Néerlandais Tomek de Ponti, l’autre par la Canadienne Verena Seufert, et publiées toutes deux en 2012, convergeaient pour indiquer que les rendements moyens des productions végétales sont, en mode biologique, de 20 % à 25 % inférieurs à ceux des pratiques traditionnelles.
Les signataires de la nouvelle publication, dirigés par Claire Kremen, professeur de sciences de l’environnement et codirectrice du Berkeley Food Institute de l’Université de Californie, disent avoir passé au crible trois fois plus de données que leurs prédécesseurs. Ils ont ainsi dépouillé 115 études de 38 pays, portant sur 52 espèces végétales et couvrant trente-cinq années.
Résultat de cette analyse panoramique : la différence de productivité entre bio et traditionnel est ramenée à 19,2 %. En outre, contrairement aux travaux antérieurs, les auteurs ne trouvent pas de différence entre pays développés et pays en développement, pour ce qui est des performances respectives des deux modes de culture.
Mais l’enseignement principal est que le différentiel est beaucoup plus faible lorsque les exploitations biologiques ont recours soit à la polyculture (plusieurs plantes cultivées sur la même parcelle), soit aux rotations : il tombe alors à respectivement 9 % et 8 %. « Ces résultats prometteurs, estiment les auteurs, suggèrent qu’un investissement approprié dans la recherche agronomique pour améliorer la gestion des cultures biologiques pourrait fortement réduire ou même éliminer l’écart [avec l’agriculture traditionnelle] pour certaines cultures ou régions. »
Accès à la nourriture
« Les méta-analyses de ce type ont l’intérêt de compiler un très grand nombre de données, même si, dans ce travail comme dans les précédents, les informations sur les milieux agronomiques étudiés et sur leur fertilité font défaut, commente Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint chargé de l’agriculture à l’Institut national de la recherche agronomique. Son apport essentiel est de confirmer qu’en agriculture biologique, la diversification est essentielle pour améliorer la performance. »
Il ajoute toutefois : « Le temps où l’on cherchait à opposer agriculture biologique et agriculture conventionnelle est révolu. Il existe entre les deux toute une gamme de pratiques agricoles, qui doivent être cohérentes avec les milieux et les besoins locaux. »
Reste que le bio n’est évidemment pas la panacée susceptible de couvrir les besoins alimentaires de l’humanité. « Notre système agricole actuel produit beaucoup plus de nourriture qu’il n’en est nécessaire pour subvenir aux besoins de la planète, rappelle Claire Kremen. Eradiquer la faim dans le monde exige d’améliorer l’accès des populations à la nourriture, pas simplement d’accroître la production. » Mais aussi de mettre fin au gaspillage alimentaire, qui représente près du tiers de la production mondiale de nourriture.
Pour autant, plaide la chercheuse, « augmenter la part de l’agriculture faisant appel à des pratiques durables n’est pas un choix, mais une nécessité : nous ne pouvons tout simplement pas continuer à produire de la nourriture sans prendre soin des sols, de l’eau et de la biodiversité. »