Destructions d’emplois, baisse des salaires, pertes nettes en terme de PIB… Autant de répercussions négatives du TAFTA/TTIP sur l’économie européenne, pointées par deux nouvelles études qui contredisent l’optimisme affiché par la Commission européenne. En ce vendredi 19 (décembre), une manifestation se déroule à Bruxelles contre le traité de libre échange, visant à encercler le Sommet européen qui se déroule ce jour.
Le TAFTA/TTIP, l’accord commercial secret négocié par Bruxelles et Washington, coûterait à l’Europe 600 000 emplois. En France, l’accord entraînerait aussi une baisse des salaires de 5 500 euros par travailleur et le transfert de 8 % du produit intérieur brut (PIB) du travail vers le capital.
Publiée en octobre 2014, l’étude de Jeronim Capaldo, de l’Institut mondial du développement et de l’environnement à l’Université Tufts aux États-Unis, décrit les conséquences graves qu’aurait le Tafa/TTIP pour l’Union et ses États membres.
Celle de Werner Raza (en allemand), directeur de la Fondation de la recherche autrichienne pour le développement international ÖFSE de Vienne, présentée le 19 octobre dernier, remet en question les pronostics optimistes des promoteurs du Tafta/TTIP, basés sur quatre études réalisées par Ecorys (2009), le CEPR (2013), le CEPII (2013) et Bertelsmann/ifo (2013).
Hypothèses irréalistes
Pour Jeronim Capaldo : « La plupart des évaluations des effets du Tafta/ TTIP prédisent des gains en termes de commerce et du PIB à la fois pour l’UE et les États-Unis. Certaines prédisent même des gains pour les pays hors TTIP, ce qui suggère que l’accord ne créerait aucun perdant dans l’économie mondiale. Si tel était le cas, le TTIP serait la clé d’une répartition plus efficace des ressources mondiales, avec quelques pays atteignant un bien-être plus élevé et tous les autres bénéficiant au moins du même bien-être qu’avant. »
Malheureusement, explique Capaldo, « ces résultats optimistes s’appuient sur plusieurs hypothèses irréalistes et sur des méthodes qui se sont avérées inadéquates pour évaluer les effets de la réforme du commerce. En outre, une fois que les calculs sont examinés, il semble que plusieurs de ces études partagent le même modèle et la même base de données économiques discutables. La convergence de leurs résultats n’est donc pas surprenante et ne doit pas être interprétée comme une confirmation indépendante de leurs prédictions. »
Promesses non prouvées, études peu fiables…
Les problèmes du Tafta/TTIP sont si nombreux (manque total de transparence, inclusion d’une clause d’arbitrage privé ou ISDS, risques d’abaisser les normes protectrices en Europe sur la santé, la sécurité, l’environnement, le travail, etc.), que les promoteurs de cet accord ne trouvent plus que l’argent à proposer comme avantage.
Pourtant, les études de la Commission européenne elle-même montrent que le résultat le plus ambitieux ne donnerait au PIB européen qu’un coup de pouce de 0,5 %, c’est-à-dire de 119 milliards d’euros. Mais ce chiffre est cumulatif et ne serait atteint qu’après dix ans, en 2027, soit une augmentation du PIB par an de seulement 0,05 % en moyenne, un résultat négligeable.
C’est ce que confirme l’étude de Jeronim Capaldo, qui souligne aussi la fausseté évidente de l’assertion de la Commission européenne affirmant que les ménages de l’UE gagneraient 545 € de plus chaque année :
« Ces estimations sont trompeuses, écrit-il, car les études ne fournissent aucune indication de la répartition des gains de revenus, qui sont simplement des moyennes. Comme la part des salaires dans le PIB de l’UE ne fait que baisser depuis le milieu des années 90, il est loin d’être certain que tous les gains globaux se traduiront par des augmentations de revenu pour les ménages vivant de leurs salaires (par opposition au capital). »
Werner Raza explique que les tarifs douaniers moyens entre l’UE et les États-Unis sont déjà faibles (moins de 5 %), et que, par conséquent, 80 % des gains du Tafta/TTIP proviendraient de l’élimination ou de l’alignement de mesures non-tarifaires (MNT), tels que des lois, des règlements et des normes. « Dans la mesure où ils ont une finalité sociale, les MNT sont nécessaires pour la société », a-t-il expliqué. Or, la quasi-totalité des études sur le Tafta/TTIP réduisent ces textes législatifs à leur dimension de coûts pour les entreprises, sans considérer leur utilité publique et sociale.
…basées sur un modèle économique inadapté
Capaldo critique, lui, les lacunes criantes du modèle d’Équilibre global calculable (EGC) sur lequel se basent les études utilisées par la Commission européenne. Cette approche comprend l’hypothèse étonnante que la situation de l’emploi ne changerait pas avec le Tafta/TTIP, parce que les pertes d’emplois inévitables dans certaines industries seraient équilibrées comme par magie, par la création d’emplois dans d’autres. Une autre énorme faille dans l’approche EGC est qu’elle ignore les coûts d’ajustement induits par l’application de ce traité.
Jeronim Capaldo procède à une évaluation du Tafta/TTIP basée sur un modèle différent, et sur des hypothèses plus probables en matière de coûts d’ajustement économiques et de directions politiques :
« Pour obtenir un scénario plus réaliste, et simuler ses effets sur l’économie mondiale, nous avons utilisé le Modèle des Nations Unies sur les politiques globales (GPM), un modèle économétrique global axé sur la demande, qui s’appuie sur un ensemble de données macroéconomiques cohérentes pour tous les pays. Cette simulation tient compte du contexte d’austérité prolongée, et des taux de croissance faibles qui caractérisent particulièrement l’Union Européenne et les États-Unis. »
Des effets négatifs
Werner Raza indique que le traité réduira les rentrées fiscales venant des tarifs douaniers et augmentera ainsi les problèmes du budget de l’UE. Pour lui, au bout de la période de transition de dix ans, cette perte de recettes s’élèvera au moins à vingt milliards d’euros, et les coûts du chômage, dont le chômage de longue durée, pourraient être très élevés.
Selon Capaldo, à l’échéance de dix ans, en comparaison d’un scénario « sans Tafta/TTIP, les pays du nord de l’Europe subiraient les plus grosses pertes en terme d’exportation (2,07 % du PIB) suivis par la France (1,9 %), l’Allemagne (1,14 %) et le Royaume-Uni (0,95 %). Il entraînerait aussi des pertes nettes en termes de PIB, (- 0,48 % en France) et une baisse des salaires.
La France serait le pays le plus durement touché avec une perte de 5 500 euros par travailleur. Le TTIP entraînerait la destruction de 600 000 emplois, dont 134 000 en France, et une diminution de la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée, renforçant une tendance qui a contribué à la stagnation économique actuelle. »
Mais certains y gagnent !
Le rapport de Capaldo montre que tout le monde ne sera pas perdant. La prédiction la plus révélatrice est que le TTIP déplacera encore plus la richesse du travail vers le capital.
C’est-à-dire que la part des salaires allant aux travailleurs ordinaires va baisser proportionnellement à l’augmentation de la part représentée par les bénéfices, intérêts et dividendes. Le changement prévu en France est énorme, 8 % sur dix ans.
Le TTIP entraînerait aussi une baisse des recettes fiscales (0,64 % du PIB en France), et les déficits publics en fonction du PIB, augmenteraient dans tous les pays d’Europe, les poussant vers ou au-delà des limites du traité de Maastricht. Le TTIP entraînerait donc une instabilité financière accrue et une accumulation des déséquilibres.
Et la démocratie ?
Il n’est donc pas étonnant, qu’en dépit d’une très faible couverture médiatique, plus d’un million de citoyennes et de citoyens européens avisés aient signé pour soutenir un projet d’initiative citoyenne européenne (ICE), demandant que la Commission européenne mette fin aux négociations sur TAFTA, et qu’elle ne conclue pas le CETA.
Une ICE signée par plus d’un million de personnes peut contraindre la Commission à reconsidérer un aspect de sa politique et à organiser une audition publique devant le Parlement européen. Le 9 décembre, jour des soixante ans de Jean Claude Juncker, le président de la Commission européenne a reçu une carte géante signée par un million d’Européen(e)s… mais, pour l’instant, la Commission refuse d’enregistrer l’ICE.
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Notes :
– Jeronim Capaldo est chercheur à l’Institut sur le développement global et sur l’environnement (GDAE) de la Tufts University, et économétricien auprès de l’Organisation Internationale du Travail à Genève. Avant de rejoindre GDAE il a été membre de l’équipe de modélisation et de prévision à l’UNDESA, où il était responsable de l’Amérique latine et des Caraïbes et pour l’analyse de l’emploi mondial.
Auparavant, à la FAO, il a analysé les effets économiques du changement climatique en Afrique et en Amérique centrale. Ses recherches actuelles portent sur les modèles macroéconomiques mondiaux appliqués au commerce et la politique budgétaire.
– Le résumé de l’étude en français
– Werner Raza dirige l’ÖFSE depuis octobre 2010. C’est un économiste spécialisé dans le domaine du commerce international et du développement. Il est aussi membre de comités consultatifs dans les domaines de la promotion du commerce extérieur, de la finance et de la politique de développement.
– Son étude, en allemand