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Le 1er janvier 2015, la communauté urbaine de l’agglomération va remplacer le département du Rhône sur son territoire. Une première en France, qui supprimera une couche du millefeuille administratif. Mais, des finances aux calculs politiques, l’opération a aussi sa face cachée.

Par Michel Feltin-Palas

Gérard Collomb et Michel Mercier sont tombés d’accord pour se partager le département du Rhône.

A première vue, le croisement de la rue Jean-Moulin et du chemin de Crépieux, à Caluire-et-Cuire, a tous les aspects d’un rond-point ordinaire. Un bête et honnête giratoire permettant aux automobilistes de se croiser sans danger, comme il en existe des milliers à travers la France. Grave erreur: sous son allure débonnaire, ce rond-point est en fait un pervers, un sadique, un retors. Pourquoi? Parce que la rue Jean-Moulin appartient à la communauté urbaine de Lyon alors que le chemin de Crépieux dépend du département du Rhône.

Dit comme cela, évidemment, ça n’a l’air de rien, mais au quotidien, c’est l’horreur. Car chaque collectivité a ses règles: bordure en granit ou en béton, enrobage froid ou chaud, procédures à suivre par les entreprises… Un cas d’école inventé par Courteline et Kafka réunis, occasionnant des heures et des heures de réunions, des efforts dantesques pour coordonner les budgets, les calendriers et les spécificités techniques. Une ruine pour le contribuable et un enfer pour les fonctionnaires chargés de la voirie.

Alléluia! Le 1er janvier prochain, ce cauchemar bureaucratique aura vécu. Il n’y aura plus d’un côté le département du Rhône et, de l’autre, la communauté urbaine, mais une seule et unique institution: “Grand Lyon la métropole“. Au sein de ses 59 communes, tout sera fusionné : les compétences, les budgets, les personnels et, donc, la réalisation des ronds-points. L’événement sera mémorable : pour une fois en France, on aura réussi à retirer une couche de notre fameux millefeuille administratif.

Aller vite, très vite: la politique est aussi un art de l’exécution Ce petit miracle a une histoire, qu’il convient de raconter. Nous sommes le 3 décembre 2012. Un sommet franco-italien se tient à Lyon, précisément. Retenu par la neige et par des manifestants, Mario Monti, président du Conseil transalpin, est en retard. Cela tombe bien. François Hollande, lui, est arrivé à la préfecture. C’est le moment que choisissent Gérard Collomb, maire PS de Lyon, et Michel Mercier, président UDI du conseil général du Rhône, pour présenter leur projet au chef de l’Etat.

Le président est déjà au courant, mais il commence par se tourner vers son Premier ministre. Jean-Marc Ayrault, qui a été vingt-trois ans durant maire de Nantes, est un fervent partisan du “fait urbain”. Il approuve. Le préfet émet luiaussi un avis “très favorable”. François Hollande donne alors son accord à cette “bonne initiative”. L’opération “métropole” est lancée. Dès le lendemain, une conférence de presse officialise la décision. En janvier 2014, la loi est adoptée par le Parlement, pour une mise en application dès le 1er janvier 2015.

Mercier et Collomb ont choisi d’aller vite, très vite: la politique est aussi un art de l’exécution. Sur le principe, cette simplification administrative est largement approuvée. “C’est une bonne nouvelle pour les entreprises, souligne Jean-Pierre Buisson, de l’antenne lyonnaise du cabinet d’audit EY (ex-Ernst & Young). Désormais, elles sauront facilement vers qui se tourner.” Même l’opposition en convient. “Il y a une logique d’agglomération, reconnaît Philippe Cochet, chef de file de l’UMP au Grand Lyon. Pour les transports, le développement économique, les grands équipements culturels et sportifs, nous devons travailler ensemble.”

Une métropole petit bras?

Comment être contre? Voirie, culture, transports, logement: dans bien des domaines, la métropole permettra d’éviter les doublons. Elle devrait aussi favoriser les complémentarités. Jusqu’à présent, la communauté urbaine du Grand Lyon s’occupait de développement économique tandis que le département avait la haute main sur le social? “Demain, un seul service gérera les créations d’emplois et l’insertion. Nous serons plus efficaces”, assure Collomb. Reste que la métropole souffre d’au moins trois imperfections, à commencer par sa géographie. Théoriquement, elle est censée donner à Lyon la taille critique européenne. Le problème est que son périmètre… ne bouge pas d’un iota par rapport à l’actuelle communauté urbaine.

“Pour faire partie des grandes villes du continent, il faut dépasser la barre des 2 millions d’habitants et contrôler les grands équipements structurels, pointe François-Noël Buffet, sénateur UMP du Rhône et candidat malheureux contre Gérard Collomb à la présidence du Grand Lyon. Or ce ne sera pas le cas. La métropole comptera seulement 1,3 million d’habitants et ne disposera pas sur son sol de l’aéroport Saint-Exupéry ! Il est regrettable que l’on n’ait pas profité de cette réforme pour élargir son territoire à l’ensemble du bassin de vie lyonnais.”

 

 

Une métropole petit bras ? Michel Mercier réfute l’accusation. “Nous n’avons pas voulu commettre la même erreur que l’Union européenne. Nous, nous commençons par l’approfondissement en accroissant les compétences. L’élargissement viendra plus tard.” Collomb complète: “Je préfère convaincre. Quand la métropole aura fait ses preuves, d’autres communes nous rejoindront.”

Il ne faut pas non plus attendre de miracle côté économies. “Il n’y en aura pas à court terme”, admet le maire de Lyon. Pour deux raisons. D’une part, la métropole devra continuer à assumer les -dispendieuses- compétences du conseil général: collèges, routes, RSA… D’autre part, la masse salariale restera grosso modo identique. On ne peut pourtant pas reprocher au futur patron de la métropole son manque de fermeté. Il a refusé, par exemple, d’harmoniser les statuts des salariés “vers le haut”, comme le demandaient les syndicats. Le personnel de la communauté urbaine perdra même les jours de congé supplémentaires dont il bénéficiait jusqu’à présent ! Seulement voilà : aucun licenciement n’est possible dans la fonction publique, si bien que les effets de la mutualisation seront inévitablement lointains. “A terme, on ne remplacera pas tous les départs en retraite”, espère simplement Collomb.

“Sans la métropole, Lyon aurait fini par avaler le Rhône”

Certains sont carrément pessimistes pour les finances de la métropole. Celleci, en effet, va devoir supporter les charges sociales du département, qui explosent avec la crise économique et le vieillissement de la population. “Ce phénomène, conjugué à la baisse des dotations de l’Etat, va ramener la capacité d’investissement de la métropole de 450 millions à 250 millions”, alerte l’UMP Michel Havard, chef de file de l’opposition au conseil municipal. Un scénario noir qu’écarte Collomb. “Mon pari, c’est de créer des emplois grâce à une meilleure organisation administrative. Si je réussis, nous remettrons au travail un certain nombre d’allocataires du RSA et nous diminuerons les dépenses.” Mercier, démocrate-chrétien de conviction, ajoute un argument de principe : “Une collectivité qui ne s’occupe pas de ceux qui sont en difficulté ne remplit pas sa mission.”

Le dernier piège, pour la métropole, consisterait à avancer contre les maires de la périphérie. Or ceux-ci sont furieux. Jusqu’à présent, chacun d’entre eux siégeait au conseil de la communauté urbaine. Ce ne sera plus le cas à partir de 2020. “Nous n’aurons plus qu’un avis consultatif. On est en train d’organiser une rupture entre la métropole et les communes !” proteste Marc Grivel (sans étiquette), président du groupe Synergies, qui rassemble les élus des petites communes.

 

 

La peur du grand méchant Lyon? Pas seulement. La grogne est d’autant plus forte que Collomb n’avait pas informé ses collègues de cette disposition de la loi -qu’il a pourtant largement écrite. Et pour cause: “Il avait besoin de leurs voix pour garder la présidence du Grand Lyon, en mars 2014. Il ne fallait surtout pas les mettre en colère trop tôt”, pointe Philippe Cochet. Quoi qu’il en soit, cette irritation menace le bon fonctionnement de la métropole. Pour être efficace, celle-ci doit impérativement se concentrer sur le développement économique, les grands équipements, la stratégie. Et s’appuyer sur les communes pour réparer les trous dans la chaussée et fixer les horaires du ramassage des poubelles. Le grand enjeu des mois qui viennent sera donc, pour Collomb, de se rabibocher avec les maires.

De l’avis général, en tout cas, Michel Mercier a négocié à merveille. “Sans la métropole, Lyon aurait fini par avaler le Rhône, note le très énergique préfet du Rhône, Jean-François Carenco. Cette évolution était le seul moyen de sauver l’autonomie de la partie rurale du département, à laquelle Mercier est très attaché. Il y est parvenu.”

Ce n’est pas le seul avantage de la situation pour le madré sénateur maire de Thizy-les-Bourgs. Sa majorité fut un temps menacée par le Parti socialiste? En retirant la fraction la plus à gauche -Lyon et sa périphérie- il transforme le conseil général en fief de droite pour l’éternité. Son budget était grevé à terme par la dérive des dépenses sociales? Le changement lui garantit un train de vie incomparable.

Le secret de la réussite: l’entente entre Collomb et Mercier

A la suite de savants calculs, la métropole versera en effet chaque année au département du Rhône une “dotation de compensation” de quelque 75 millions d’euros. Dans le même mouvement, le conseil général se débarrasse du coûteux musée des Confluences (dont les frais de fonctionnement seront pris en charge à 90% par la métropole) et des deux tiers des emprunts toxiques que Mercier avait imprudemment contractés. “Il a compris que Collomb était prêt à lâcher beaucoup pour obtenir la métropole et entrer dans l’Histoire. Il en a profité”, lâche, un brin admiratif, Philippe Cochet. “C’est en effet une très bonne affaire pour le département”, confirme le conseiller général UMP Christophe Guilloteau, qui a toutes les chances d’en prendre les rênes après les élections de mars 2015.

 

 

Les deux hommes, en tout cas, se sont entendus comme larrons en foire pour mener à bien une réforme réputée impossible. Eux qui avaient été adversaires aux élections municipales de Lyon en 2001 ont même trouvé un accord sur le terrain électoral! Pour complaire à Mercier, Collomb est allé jusqu’à neutraliser le postulant socialiste du conseil général, Thierry Philip. En échange, il a obtenu le soutien de son alter ego pour rester à la tête de la communauté urbaine en 2014, où il ne disposait pas à lui seul de la majorité. Gagnant-gagnant…

Ne faisons pas la fine bouche. Ces petits arrangements, ces concessions diverses, ces compromis plus ou moins masqués étaient sans doute le prix à payer pour parvenir à une évolution qui, globalement, va dans le bon sens. Mais il ressort de cette expérience que l’exemple lyonnais ne sera pas facile à dupliquer, tant il nécessite, en effet, une entente quasi parfaite entre le patron de l’agglomération et celui du département. A Lyon, ce fut le cas, entre deux hommes qui avaient des analyses voisines, des intérêts électoraux convergents et des profils politiques peu éloignés – “Collomb est encore plus à droite que moi!” s’amuse Mercier. “A chaque réunion, on découvrait une nouvelle source de conflits qui aurait pu conduire à nous étriper, se souvient le maire. Mais on avait la volonté d’avancer.”

 

 

Qu’en sera-t-il ailleurs? Dans le Grand Paris, le gouvernement a dû revoir ses ambitions à la baisse, depuis le basculement à droite d’un grand nombre de municipalités. A Aix-Marseille, les opposants comptent profiter de ce précédent pour pousser au statu quo.

Conclusion: il est probable que Lyon fasse durablement la course des métropoles en tête. “C’est une catastrophe pour la France, mais, égoïstement, c’est une bonne nouvelle pour nous”, note Collomb. Parole d’expert !

Le réveil de la France des grandes villes

Le chiffre est presque incroyable. Dans une France qui compte plus de 36000 communes, 60% de la richesse nationale proviennent d’une douzaine d’agglo mérations seulement.

Recherche, enseignement supérieur, innovation : c’est là que se décide le destin de l’économie. C’est la “métropolisation”.

Dans cette bataille, la France partait avec un sérieux retard. Idéologiquement, l’Etat colbertiste a toujours préféré commander d’en haut. Politiquement, il s’est toujours méfié de ses grandes villes, d’où sont parties toutes les révolutions.

Le résultat de cette politique se lit dans la hiérarchie européenne. Avec Paris, la France peut certes se targuer de disposer de l’un des deux champions du Vieux Continent (au côté de Londres). Mais derrière, c’est le désert, ou presque. Toulouse, Nice et Bordeaux ne sont certes pas dénuées d’atouts, mais elles sont distancées -et de combien- par Munich, Milan ou Barcelone. Des cités situées, ce n’est pas un hasard, dans des pays où les Etats ont laissé s’épanouir de puissants centres urbains.

Il faut donc reconnaître à François Hollande d’avoir su rompre avec cette approche traditionnelle. En dotant d’un statut particulier non seulement le Grand Lyon, mais aussi l’agglomération parisienne et celle d’Aix-Marseille. Et en érigeant au rang de métropoles Nantes, Lille, Strasbourg et une dizaine de leurs semblables. Avec un objectif clair : onner à nos grandes villes le statut juridique leur permettant d’exprimer leur potentiel.

Evidemment, dans un pays aussi passionné d’égalité que le nôtre, cela pose un problème : ne risque-t-on pas de voir apparaître une France à deux vitesses? “La métropolisation est en train de créer de véritables petites principautés!” s’alarme ainsi Vanik Berberian, président (MoDem) de l’Association des maires ruraux de France.

De brillants universitaires -Jean Viard, Laurent Davezies, Pierre Veltz, Michel Lussault…- sont persuadés du contraire. Ils notent que les campagnes situées autour de grandes villes dynamiques, telles Toulouse et Nantes, vont plutôt bien. Et qu’à l’inverse celles qui souffrent -la Nièvre, la Creuse, la Haute-Marne- sont éloignées des grands centres urbains.

La conclusion s’impose : l’avenir du rural et celui de l’urbain sont liés. Corollaire : s’il faut améliorer les relations entre les métropoles, les villes moyennes et les campagnes, mieux vaut d’abord muscler nos grandes agglomérations. Car freiner les locomotives ne fera pas avancer plus vite les wagons.

Un “nouveau Rhône” très artificiel

C’est une drôle d’histoire, celle d’un département peau de chagrin. En 1790, les révolutionnaires créent autour de Lyon le “Rhône-et-Loire”, qui s’étend jusqu’à Roanne et Saint-Etienne. Mais, en 1793, la cité des canuts se soulève. Pour la punir, la Convention sépare la Loire du Rhône, dont l’aire d’influence se rabougrit. Et, comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’il va perdre une nouvelle partie de son territoire. Un département croupion? Non, si l’on considère sa population : “Avec 429000 habitants, nous nous situerons au 53e rang français”, souligne Danielle Chuzeville (UDI), qui a succédé à sa tête à Michel Mercier, atteint par le cumul des mandats. Oui, si l’on considère la géographie : sa superficie sera ridicule (hors Ile-de-France, seul le Territoire de Belfort fait pire) et son incohérence, totale ; la moitié de sa population habitera en effet l’agglomération de Lyon, dont il est en train de se détacher! Autant dire qu’il aurait été cent fois plus logique de fondre tout le département dans la métropole ou, à tout le moins, d’en répartir les “restes” entre ses voisins : Ain, Isère, Loire, etc.

L’opération, il est vrai, aurait été complexe. “Franchement, on ne savait pas faire, souligne le préfet, Jean-François Carenco. Cela aurait même risqué de tout bloquer.” Et puis, il a fallu compter avec l’opposition absolue de Michel Mercier. Son objectif – non négociable – consistait à sauver la partie rurale de son département. Jamais il n’aurait accepté son démantèlement.

Realpolitik oblige, deux départements cohabiteront sur l’actuel territoire du Rhône, avec quelques effets pervers. Il y aura ainsi deux directions des collèges là où l’on n’en comptait qu’une! Mais, dans l’ensemble, lemaximum aura été fait pour éviter la gabegie. Pas de nouveau siège: le conseil général du Rhône continuera de se réunir dans les mêmes locaux. Pas de nouvelle préfecture: le représentant de l’Etat, comme ses administrations, resteront compétents pour les deux collectivités. Pas de changement de nom: le Rhône restera le Rhône, tandis que la métropole s’appellera “Grand Lyon la métropole”. Les deux collectivités iront jusqu’à se partager le même numéro: 69.

Reste une question: où se situera la préfecture du Rhône? “Ce sera à la future assemblée de choisir”, souligne Danielle Chuzeville. Voire. Pour le préfet, la question est déjà tranchée: “Ce sera Lyon. Inutile de changer.” Une ville chef-lieu d’un département auquel elle n’appartient pas ? Quand on vous disait que c’était une drôle d’histoire…

lexpress.fr

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