Il est des événements dont on pense intuitivement qu’ils structurent le temps, l’époque, l’Histoire. Des événements qui créent l’avant et l’après.

L’attentat contre Charlie Hebdo est de ceux-là. Il est à la fois profondément sidérant et profondément attendu, annoncé, rétrospectivement pensé comme inéluctable.

Il est l’occurrence énorme qu’attendait le paradigme qui monte : celui de la haine.

La saillance est si édifiante, qu’il n’y a plus aucun artefact à construire, plus aucun effort littéraire, intellectuel ou politique à produire : l’attentat contre Charlie Hebdo a la sale gueule de Renaud Camus, d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen. Il a la sale gueule de leur victoire idéologique. Partout, ce sont leurs mots, leurs images, leurs fantasmes, leurs prédictions, qui résonnent sur l’air goguenard du on-vous-l’avait-bien-dit.

Et pourtant, plus que jamais, et parce qu’ils ont tort et auront toujours tort, nous devons défendre notre société telle qu’elle est.

Une société ouverte, tolérante, démocratique et libérale. Cette société, si forte et si vulnérable, nous devons la défendre, contre l’islam radical et assassin bien sûr, mais finalement surtout contre ses ennemis les plus pressants et les plus réels.

Si le premier de ces combats est d’abord une affaire de police, le second est intellectuel, culturel et politique.

Ce combat, qui est fondamentalement celui de la gauche, doit se concentrer sur la réaffirmation de certaines de nos valeurs cardinales. Non plus dans une langue cuite d’incantations marmonnées car honteuses, mais avec la ferveur qu’elles méritent.

Nous ne pouvons accepter que le discours sur l’autre, l’étranger, l’immigré, le musulman, soit aujourd’hui devenu le monopole du Front National et de ses compagnons de route.

Sur eux, au mieux la gauche de gouvernement n’a plus de discours, au pire c’est le calque atténué de celui de l’extrême droite.

Cela n’est ni la faute de François Hollande, ni celle de Marine Le Pen, si Charlie a été massacré. Cela sera en revanche la très grande faute de la gauche si l’extrême droite finit par l’emporter.

Le martyr de Charlie nous place face à une responsabilité gigantesque et terriblement difficile, pris en tenaille entre la violence islamiste, que nous devons combattre en état de droit, et la montée d’une extrême droite qui menace notre société ouverte.

Ce vieux cochon de Wolinski et toute la bande méritent bien que ce défi soit relevé et surtout gagné.

Libération