Photographie (authentique) prise peu après la mort de Napoléon III.
I. Exil et derniers projets
Napoléon III se montrait sévère envers les républicains qui avaient voulu poursuivre la guerre à tout prix : une première offre de paix, rejetée par le gouvernement provisoire à Ferrières, aurait permis la paix en contrepartie de la cession de Strasbourg et de deux milliards de francs-or. La perte de l’Alsace-Moselle attrista l’Empereur : « Cette paix ne peut être qu’une trêve et elle prépare bien des malheurs pour l’Europe. ». Lors de sa captivité, visionnaire, il prophétisa :
« Malgré elle, oui, je veux bien le croire, malgré elle, la Prusse, dans vingt ou trente ans, sera forcée de devenir une puissance agressive. Et alors, tous les tours de force diplomatiques, toute la valeur de ses troupes n’y feront rien. L’Europe l’écrasera. On verra alors ce que le rêve de M. de Bismarck aura coûté à la Prusse… »
En France, l’Empire restait populaire auprès des paysans et d’une partie des ouvriers qui pensaient que l’Empereur avait été trahi par les républicains et les bourgeois ; des manifestations en sa faveur eurent lieu dans diverses régions de France (Normandie, Puy-de-Dôme, Limousin, …). Au niveau politique, Eugène Rouher, le « vice-empereur », avait pris les rênes du parti bonapartiste et son groupe parlementaire « l’Appel au peuple ». Les élections législatives de 1871, malgré Sedan et malgré le vaste trucage opéré par Gambetta et ses amis républicains (1), amenèrent 19 bonapartistes à la Chambre. L’Empereur s’était remis à écrire, composant La France et la campagne de 1870, ouvrage achevé en 1872. Il se remit aussi à la technique et aux sciences, mettant au point un mortier, et un calorifère économique – pour les pauvres – capable de réduire de moitié les besoins pour sa consommation ; les prototypes furent un succès.
Napoléon III comptait revenir au pouvoir en rééditant un « retour de l’île d’Elbe ». Il se serait agi de quitter rapidement l’Angleterre, de passer en Belgique puis en Suisse, avant de trouver le sixième régiment de dragons à Chambéry. De là, il serait allé à Lyon où l’aurait attendu le général Bourbaki, dévoué tout entier à la famille impériale, et il aurait marché sur Paris avec 30.000 hommes, ralliant sur son chemin populations et hauts fonctionnaires ; l’aigle volant à nouveau de clochers en clochers. L’opération était prévue pour mars 1873, coïncidant avec l’anniversaire des Cent-Jours.
II. La mort
Napoléon III était cependant profondément malade, incapable de monter à cheval ni de marcher longuement du fait de la maladie de la pierre (calcul de vessie). Le mal était ancien, et les trois dernières années du règne furent un calvaire. Les absences au Conseil des ministres se multipliaient, l’impératrice remplaçant son époux ; des crises de folie prenaient l’homme : Napoléon III demandait ainsi des nouvelles du maréchal de Saint-Arnaud (un des conjurés du 2 Décembre) alors que celui-ci avait succombé du choléra 15 ans auparavant en Crimée … Le maréchal Canrobert aperçut un jour, aux Tuileries, par l’entrebâillement d’une porte, le souverain se tordre sur sa chaise en poussant des cris.
L’opération visant à délivrer l’Empereur commença le 2 janvier 1873. Croyant en sa bonne étoile, Napoléon avait refusé d’écrire un nouveau testament (l’ancien, datant de 1865, étant caduc du fait de la chute de l’Empire). Thompson se chargea d’opérer. L’opération du 2 janvier entama à peine la pierre ; celle du 6 fut plus efficace. Une troisième était prévue pour le 9, mais n’eut pas lieu. L’état de santé de Napoléon se dégrada, la douleur et la folie alternant. Le dernier souverain de la France mourut le 9 janvier à 10h45. Ses dernières paroles, adressées à son ami Henri Conneau, furent : « Henri, tu étais à Sedan ? » puis, après une réponse affirmative, « N’est-ce pas que nous n’avons pas été lâches ? » (2).
Le prince impérial n’arriva pas à temps pour voir son père. A la vue du mort, il s’agenouilla brusquement et commença à réciter le Pater Nostre. Eugénie cria : « Louis, je n’ai plus que toi. »
Le portefeuille de Napoléon III, dont il ne se séparait pas, fut ouvert : on y trouva le billet par lequel Napoléon Ier complimenta Hortense pour sa naissance, la dernière lettre de sa mère, des mots d’Eugénie, des cheveux et une courte lettre du prince impérial (3), une liasse de billets, et des dessins émouvants envoyés par de modestes Français.
D’après Rouher, « l’autopsie a démontré les terribles ravages faits, dans la santé de l’Empereur, par les maladies de 1866, 67 et 69. Les deux reins et l’intérieur de la vessie étaient gravement attaqués. Cause ou résultat de ces désordres irrémédiables, la pierre était d’ancienne et lente formation ; elle était énorme. L’esprit demeure confondu à la pensée des souffrances que ce malheureux souverain a stoïquement supportés depuis plus de dix années. » (extrait d’une lettre du 11 janvier 1873 reproduite par Jules Richard, bonapartiste et journaliste au Figaro).
III. Les obsèques, la sépulture
Les premiers fidèles arrivèrent rapidement. Carpeaux, un sculpteur protégé par Napoléon III, arriva avec un sachet contenant de la terre de France qu’il posa aux pieds du cadavre. Ce dernier fut revêtu de l’uniforme officiel de général de division et transporté dans le hall de Camden Place, cercueil ouvert. S’en suivit le défilé de la notabilité bonapartiste, de Français reconnaissants, parfois humbles, et de curieux. Les violettes s’amoncelaient au milieu de sanglots. Un vieillard inconnu se fit remarquer par sa voix forte : « Adieu mon empereur. »
Le 13 janvier, chez un notaire parisien eut lieu le dépôt du testament dans lequel l’Empereur avait écrit à son fils :
« Le pouvoir est un lourd fardeau parce que l’on ne peut pas toujours faire le bien qu’on voudrait, et que vos contemporains vous rendent rarement justice ; aussi faut-il, pour accomplir sa mission, avoir en soi la foi et la conscience du devoir. Il faut penser que du haut des cieux ceux que vous avez aimés vous regardent et vous protègent ; c’est l’âme de mon grand oncle qui m’a toujours inspiré et soutenu. »
Les obsèques eurent lieu le 15 janvier, dans la petite église de St Mary, en présence de 20.000 personnes. Le prince de Galles voulut assister à la cérémonie mais lord Granville s’y opposa au prétexte de complications diplomatiques, opposition qui lui valut … les remerciements du gouvernement français ! En 1888, Eugénie fit déplacer sa dépouille, ainsi que celle de son fils mort en 1879, dans l’abbaye St-Michel de Farnborough (Hampshire) qu’elle fit édifier, où il repose toujours à l’heure actuelle. Elle le suivit dans ce dernier lieu de sépulture en 1920.
Tombeau de Napoléon III au fond à droite sur la photographie, présence de Jean-Christophe Napoléon (Napoléon VII).
Bibliographie :
ANCEAU Eric, Napoléon III, Paris, Tallandier, 2008.
DARGENT Raphaël, Napoléon III, l’Empereur du peuple, Paris, Grancher, 2009.
DESTERNES Suzanne, CHANDET Henriette, Louis, prince impérial. 1856-1879, Paris, Hachette, 1957.
RICHARD Jules, Le Bonapartisme sous la République, Paris, Rouveyre et Blond, 1883.
Notes :
(1) Gambetta avait, par un décret du 31 janvier, frappé inéligibilité les anciens ministres, préfets, sous-préfets de l’Empire ainsi que tous ceux qui avaient bénéficié de la candidature officielle. Le décret fut abrogé sur protestation de Bismarck, mais Gambetta fit en sorte que les bonapartistes le sachent moins de 48h avant le vote, de sorte que les bulletins et affiches ne puissent être imprimés. Le Prince Murat, dans le Lot, fut élu grâce aux paysans qui écrivirent son nom sur un bulletin ; Eugène Eschassériaux, dans la Charente-Inférieure, parvint à faire imprimer in extremis les bulletins grâce entre autres au journal impérialiste Le Progrès, les lecteurs découpant les bulletins dans une page du journal.
(2) Cette accusation de lâcheté avait été lancée par les ennemis de l’Empire, en particulier les républicains, suite à la capitulation de Sedan. A Sedan, Napoléon III avait en effet hissé le drapeau blanc sans combattre, jugeant la bataille perdue. L’Empereur écrira après Sedan : « On a prétendu qu’en nous ensevelissant sous les ruines de Sedan, nous aurions mieux servi mon nom et ma dynastie. C’est possible. Mais tenir dans la main la vie de milliers d’hommes et ne pas faire un signe pour les sauver, c’était chose au-dessus de mes forces. […] Mon cœur se refuse à ces sinistres grandeurs. »
(3) « Mon cher papa, je vous adore et j’ai le cœur bien gros quand vous n’êtes pas là. »