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Au lendemain de l’attentat criminel contre Charlie Hebdo, le gouvernement a décidé de mettre sur la rampe le décret permettant le blocage administratif des sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Comme prévu, le texte couple à ce dispositif le blocage des sites pédopornographiques

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Le projet de décret, qui touche à la société de l’information, a pour cette raison été notifié à Bruxelles comme l’exigent les textes européens. Il vient orchestrer une des mesures votées par la loi contre le terrorisme, le blocage administratif des sites.

Ce blocage avait été très critiqué par de multiples acteurs, mais le contexte de l’attentat contre Charlie Hebdo a sans doute tout accéléré : le décret a été enregistré à Bruxelles au lendemain des assassinats sanglants.

Ce texte a par ailleurs été notifié sous le sceau de l’urgence, ce qui permettra à la France de la publier au Journal officiel dans une quinzaine de jours, dès effectué le tour de table des États européens. Cette urgence a été justifiée spécialement par « l’accélération des phénomènes constatés de radicalisation par l’usage d’internet ». Elle ne devrait pas être contestée suite à la réaction mondiale (« Je suis Charlie »).

Comment se passera le blocage ?

C’est l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) qui aura la charge de dresser la liste des sites à bloquer.

Dans la loi contre le terrorisme, la première étape sera pour l’OCLCTIC de réclamer à l’éditeur ou à l’hébergeur ce retrait. La liste est adressée dans le même temps aux FAI pour information. En l’absence de retrait, les FAI sont alertés et doivent alors empêcher sans délai l’accès à ces adresses.

Les FAI peuvent être appelés à agir immédiatement, sans passer par la case éditeur ou hébergeur, quand l’éditeur du site terroriste ou pédopornographique n’a pas notamment renseigné le nom de son hébergeur. Cette liste, dit cette fois le projet de décret, sera adressée aux fournisseurs d’accès à internet « selon un mode de transmission sécurisé, qui en garantira la confidentialité et l’intégrité ».

Blocage par nom de domaine soit nom d’hôte

Comment seront bloqués les sites ? Le gouvernement utilise une formule alambiquée selon laquelle « la technique de blocage choisie est la technique consistant à intervenir sur le nom de domaine » ou sur « les adresses électroniques figurant sur la liste comportent soit un nom de domaine (DNS), soit un nom d’hôte caractérisé par un nom de domaine précédé d’un nom de serveur » (soit les sous-domaines).

Les FAI auront donc 24 h pour bloquer l’accès ou pour empêcher « le transfert aux services fournis par ces adresses ». Le gouvernement espère que les intermédiaires pourront éviter les déménagements vers une autre adresse. Les FAI n’ont aucune marge de manœuvre en ce sens qu’ils ne peuvent évidemment pas modifier les éléments de cette liste, « que ce soit par ajout, suppression ou altération. »

De leur côté, les utilisateurs seront dirigés vers une page d’information du ministère de l’Intérieur, « indiquant pour chacun des deux cas de blocage les motifs de la mesure de protection et les voies de recours ». Selon certains spécialistes du secteur des télécoms, c’est typiquement une fausse bonne idée. Pourquoi ? Notamment parce que ce site sera une cible de choix pour les attaques DDoS (saturation par requêtes) et parce que les autorités auront les IP des utilisateurs redirigés.

Ce blocage ne concernera pas cependant des agents individuellement désignés et dûment habilités des services de l’État compétents en matière de lutte contre le terrorisme ou de lutte contre la pédopornographie. Ceux-ci conserveront un plein accès.

Les FAI indemnisés des seuls surcoûts du blocage

Les FAI seront indemnisés par ces mesures. Seulement cette indemnisation ne concernera que les « surcoûts », c’est-à-dire « les coûts des investissements et interventions spécifiques supplémentaires résultant de ces obligations ». De fait, les mécanismes de blocage étant déjà pratiqués par les intermédiaires, au fil des décisions de justice, ces surcoûts devraient être réduits, d’autant que selon nos informations, ce seraient les FAI qui auront à piocher la liste dans un FTP sécurisé.

Un autre texte attendu pour les moteurs, la CNIL non consultée

Ce décret ne comprend qu’une brique du blocage puisqu’il n’évoque pas la question des moteurs. La loi sur le terrorisme a pourtant étendu ces mesures au déréférencement des sites dans les Google, Bing et autre Yahoo. L’hypothèse la plus probable est qu’un autre décret sera notifié à Bruxelles puis publié en France pour traiter de cette question. L’avantage d’un traitement en deux temps est qu’en cas d’annulation du premier texte, le second pourra espérer passer entre les gouttes en étant adapté.

Dernier détail, si le texte administratif a été passé en revue par l’ARCEP, il ne comporte pas de visa relatif à la CNIL. Cela révèle donc qu’il n’a pas été (pour l’instant) soumis à l’examen préalable de la Commission informatique et libertés.

Une législation d’exception

Rappelons que le PS s’était vigoureusement opposé au blocage sans juge en 2011, lors des débats sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2). Et pour cause : c’est une autorité administrative qui doit jauger le caractère illicite des contenus, selon sa propre sensibilité. Il avait alors tenté en vain de faire tomber ces mesures contre les contenus pédopornographiques. Le Conseil constitutionnel avait finalement validé cette disposition, compte tenu du caractère très sensible et surtout de l’illicéité évidente de ces images et vidéos.

La loi sur le terrorisme, défendue par Bernard Cazeneuve et votée fin 2014, a malgré tout étendu ces mesures aux sites terroristes, en mettant une personnalité de la CNIL dans la boucle afin de vérifier ces opérations. Ni le PS ni l’UMP n’ont cependant souhaité soumettre cette fois cette loi au juge constitutionnel. Celui-ci pourra cependant être appelé à intervenir en cas de question prioritaire de constitutionnalité, une fois le texte publié au Journal officiel.

Ce décret avait pris du retard, mais les évènements à Charlie Hebdo ont bien accéléré le cours de l’histoire, marqué par la vive émotion des évènements. Sur l’accélération des textes d’exception, Robert Badinter avait prévenu dès le 7 janvier dans Libération : « ce n’est pas par des lois et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre ses ennemis. Ce serait là un piège que l’histoire a déjà tendu aux démocraties. Celles qui y ont cédé n’ont rien gagné en efficacité répressive, mais beaucoup perdu en termes de liberté et parfois d’honneur. »

nextinpact.com

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