Le duc des Francs est fréquemment cité par l’extrême droite pour avoir protégé l’Occident contre l’envahisseur musulman. Décryptage du mythe.
Le Point.fr : Charles Martel peut-il être considéré comme le protecteur de l’Occident contre “l’envahisseur musulman” ?
Laurent Theis : Cette histoire relève du fait divers. Charles Martel a arrêté un raid de Sarrasins qui s’apprêtaient à rentrer chez eux après avoir fait du butin. Ils ne sont jamais allés plus loin que le nord de Poitiers.
Pourtant, certains historiens considèrent que les Sarrasins voulaient envahir l’Occident…
C’est vrai qu’il existe une controverse. Certains historiens pensent que l’émir Abd al-Rahmân (le général à la tête des troupes berbéro-musulmanes qui trouva la mort lors de la bataille de Poitiers) voulait s’établir en Aquitaine. D’autres comme moi pensent qu’il s’agissait de simples expéditions, ravageuses mais ponctuelles, engageant de faibles effectifs.
Charles Martel n’a-t-il tué que des musulmans ?
En voulant étendre son pouvoir sur la Provence, Charles, duc des Francs, a massacré de nombreux chrétiens de la région, dont certains pouvaient préférer cohabiter avec des musulmans, voire passer alliance avec eux, que de subir la domination violente de demi-barbares venus du nord. Il a détruit des cités comme Nîmes ou Agde, tapant indifféremment sur les musulmans et sur les Provençaux. C’est alors qu’il a mérité son surnom de Martel qui désigne celui qui “tape dur”. Il fut surtout connu pour cela. Les chroniques arabes, elles, signalent la bataille de Poitiers comme un simple incident. Par ailleurs, Charles Martel a aussi accaparé des biens d’Église pour rémunérer ses guerriers. Aussi existe-t-il une légende noire (une perception négative d’un personnage ou d’un événement historique généralement infondée ou partielle, et qui peut se confondre avec la vérité historique) selon laquelle il aurait brûlé en enfer pour ses méfaits.
Quand le mythe de Charles Martel, protecteur de l’Occident, a-t-il été créé ?
La légende de protecteur de la chrétienté commence dès sa mort, en 741. Ce sont ses successeurs qui ont développé cette propagande de champion de l’Occident pendant les premières années après sa mort. Quand Pépin le Bref est devenu maire du palais puis sacré roi, il voulait passer pour le fils d’un homme qui a barré la route aux infidèles. Mais on en a peu parlé lors des siècles suivants. La figure de Charles Martel n’a jamais prospéré comme celle de de Pépin le Bref ou de Charlemagne.
À partir de quand le mythe est-il repris ?
Au XIXe siècle, quand le thème de la nation a commencé à se développer. La légende du héros protecteur est réapparue à partir de 1870. Mais jamais intensément. Pendant la guerre d’Algérie, un colon d’extrême droite s’appelait Robert Martel. Arborant l’insigne d’un coeur surmonté d’une croix, il a cultivé le parallèle avec Charles Martel. Le mythe a été récupéré par le mouvement Occident. Aujourd’hui, c’est la frange dure du FN et de l’extrême droite qui s’en empare, sans grand succès.