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Tribune de Julie Pagis, “chercheure” en sociologie politique au CNRS, sur l’humour de Charlie Hebdo intitulée “, Quand nos enfants tuent nos pères”.

Depuis le 7 janvier, médias, politiques et intellectuels médiatiques nous enjoignent à l’«union nationale» et à «être Charlie», avec pour effet de stigmatiser au passage ceux qui ne s’y rallient pas. Mais serions-nous «Tous Zemmour» ou «Tous Minute», si ces derniers avaient été pris pour cible ?

S’en prendre au pape et au clergé d’une religion majoritaire dans les années 70, c’est s’attaquer à une bourgeoisie influente dans toutes les sphères du pouvoir. Viser, dans les années 2000, l’islam en France (en représentant les musulmans comme des fanatiques et les musulmanes comme des femmes voilées soumises), c’est s’attaquer à une confession minoritaire, largement dépourvue d’influence sur les institutions du pouvoir, et qui concerne, en majorité, les classes populaires.

Au-delà des cibles visées, il y a la question des personnes que l’on fait rire. Dans les années 70, les jeunes révoltés de Hara-Kiri puis de Charlie Hebdo s’en prenaient aux pouvoirs en place et à leurs conservatismes, faisant rire des dominés et des jeunes de différents horizons (marginaux, soixante-huitards reconvertis dans les luttes féministes, écologistes, etc.).

Dans les années 2000, les mêmes se situent au pôle culturel des classes moyennes et supérieures (parisiennes), et leur humour offense une partie des classes populaires urbaines, en particulier, quand il tourne en dérision l’islam qui représente, pour certains, la seule appartenance positive à laquelle se raccrocher.

En effet, la mémoire coloniale et ouvrière de leurs parents est celle de l’humiliation ; ils connaissent les plus forts taux de chômage ; la «gauche» les a largement abandonnés, délaissés ; et ils subissent une islamophobie grandissante (2). On est passé du rire jouissif, minoritaire, émancipateur, car participant d’une remise en cause de l’ordre établi, à un rire qui n’est plus transgressif, un rire aveugle à ce que les diverses affirmations identitaires musulmanes «peuvent porter comme colère et protestation contre l’abandon des cités et de leurs habitants (1)».

(1) Extrait d’une tribune de Louis Jésu adressée à Charb en 2013 («Libération»).
(2) «Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le “problème musulman”», Abdellali Hajjat, Marwan Mohammed, La Découverte.

Libération

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