Cofondateur du Mouvement Français pour le Revenu de base, créateur d’un site et d’un journal dédié à la question, Stanislas Jourdan affirme que le principe d’un revenu pour tous et sans condition finira nécessairement par s’imposer dans les pays développés. Interview.
We Demain : Comment êtes vous devenu militant du revenu de base ?
Stanislas Jourdan : J’étais journaliste pour Owni et La Tribune. Cela a commencé, comme beaucoup, en parlant entre amis dans un café. J’ai très vite adopté l’idée. Elle correspond à mes valeurs.
Elle permet de dépasser les clivages et de trouver un compromis entre un système de solidarité qui ne laisse personne sur le carreau et un système plus libéral qui encourage l’initiative individuelle et la prise de risques. J’ai alors initié le site revenudebase.info, qui avait pour but de préparer le terrain pour une initiative citoyenne européenne en 2013.
Ce but n’a pas été atteint…
Vingt-cinq pays ont participé à la campagne et on a récolté 300 000 signatures. Ce n’était pas suffisant pour aller devant la Commission européenne mais assez pour fédérer les partisans de cette idée. J’ai alors cofondé le Mouvement Français pour un Revenu de Base qui compte actuellement 500 adhérents.
L’idée gagne-t-elle du terrain ?
Le paysage a totalement changé en quelques années. Au départ on était 15 clampins, aujourd’hui, tous les grands médias en ont parlé au moins une fois. En Grèce, au Portugal, des collectifs se sont formés. La Suisse va lancer un référendum d’initiative populaire sur la question en 2016. En Espagne, le parti Podemos a inclus dans son programme cette idée, portée par le mouvement des indignés.
Et en France ?
L’hypothèse d’un revenu de base séduit à tous les niveaux de l’échiquier politique : gauche (décroissants, Front de Gauche, nouvelle donne), écologistes (Europe Écologie Les Verts), centristes (certains membres de l’UDI), libéraux (Alain Madelin, Gaspard Koenig), conservateurs (Christine Boutin), parti pirate… Seuls l’UMP et le PS restent silencieux sur la question.
Mais tous ces partis ont des visions très différentes du revenu de base.
Je pense que cette différence est une force. Elle démontre qu’un consensus est possible autour d’une idée radicale au sein de la société. Même si les modalités d’application d’une telle idée varient, il y a unanimité pour dire que le revenu de base a pour but de compléter, simplifier et améliorer la protection sociale actuelle.
On entend souvent « c’est impossible à financer ».
Sur la question, je renvoie aux travaux de l’économiste Marc de Basquiat. Il montre qu’avec une grande réforme fiscale, notamment un impôt sur le revenu progressif et une taxe sur le patrimoine, avec la suppression des niches fiscales et diverses exonérations, la fin des allocations et des emplois aidés qui deviendraient mécaniquement obsolètes, un revenu de base supérieur à 450 euros est largement possible.
Certains craignent aussi que cela ne « pousse à la paresse »…
Ce qui est drôle, c’est qu’un sondage suisse montre que, dans cette hypothèse, 80 % des gens pensent que les autres ne travailleraient pas mais 70 % affirment qu’eux même travailleraient. Et seul un sondé sur dix affirme qu’il en profiterait pour ne rien faire ! En fait, le revenu de base ne peut pas créer de l’oisiveté. Au contraire. À l’heure actuelle, le RSA diminue souvent lorsqu’on accepte un emploi. Le revenu de base va régler le problème et il sera beaucoup plus facile de vivre avec un travail à temps partiel.
Pour tous les créatifs et ces entrepreneurs, le revenu de base serait une solution à la fois plus juste et plus efficace. Je travaille au sein de l’espace de co-working Mutineries. Je croise des tas d’auto-entrepreneurs et de « slashers » (NDLR : qui cumulent plusieurs activités professionnelles, personnelles, associatives). Ces personnes sont passionnées, et contentes de la liberté que leur amène leur statut d’indépendant. Mais elles sont soumises à une forte précarité, avec des revenus en dents de scie et beaucoup de paperasse et de bureaucratie à affronter pour faire valoir leurs droits sociaux.
C’est donc, plus qu’une option politique, une évolution nécessaire ?
C’est irrémédiable. On se dirige vers une économie automatisée, ou les algorithmes et les robots vont supprimer de plus en plus d’emplois.
Plus grand chose ne justifie de trimer 40 heures par semaine, si ce n’est des arguments moraux qui font de moins en moins sens. Les richesses sont là, on a juste besoin d’un nouveau paradigme pour les répartir. Cela peut aller très vite. De plus en plus de personnes, souvent non politisées, comprennent que le système ne peut plus fonctionner à cause de la fin de l’emploi.
Vous avez récemment créé « L’inconditionnel », le journal du revenu de base. Avec quels objectifs ?
Il y a énormément de ressources sur le revenu de base qu’on voulait compiler. Il s’agissait aussi de faire un « coup » en partenariat avec la Suisse et la Belgique, et de créer un outil que les gens puissent diffuser autour d’eux. Une campagne de crowdfunding a permis de rassembler 14 000 euros cet été pour lancer un premier numéro gratuit tiré à 60 000 exemplaires. On peut le consulter en ligne ou s’en procurer la version papiers dans certains lieux partenaires. Vu le succès rencontré par l’initiative, on va surement préparer un numéro 2 mais on ne sait pas encore quand ni sous quelle forme.