Lettre ouverte au Premier ministre de Nassurdine Haidari, ex-élu PS de Marseille et délégué du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). Né à Marseille en 1978 Nassurdine il est l’ancien Imam des trois mosquées du centre ville
Lorsque le petit Mamadou noir aux yeux noirs s’est forgé l’incurable conviction qu’il n’aura jamais le même destin que le petit Soren, blond aux yeux bleus, c’est la République qui renonce. C’est cette Républiquelà qui nous tue.
Lorsque la séparation sera définitivement consommée, et nous en sommes tout près, il n’y aura plus une France mais deux France. Ces deux France se regarderont en chien de faïence dans l’impossibilité de se comprendre et dans l’incapacité de vivre ensemble.
C’est vrai, en France comme aux Comores il n’y a pas d’unité comorienne. C’est une chose que notre génération devra construire. Nous devons construire l’unité nationale. C’est quelque chose que nous ne connaissons pas. Le sentiment d’appartenance ne dépasse pas pour certains le village. Par exemple à Marseille nous devons avoir des relations plus qu’intimes avec nos frères Anjouanais, nos frères Mohéliens et nos frères Mahorais. (COM-COMORES MASIWA 4 20 03 2013)
Monsieur le Premier ministre,
Le mardi 20 janvier 2014, lors de vos vœux à la presse, vous avez courageusement donné un nom à cette logique de séparation qui frappe des millions de nos concitoyens, cette bombe à fragmentation sociale, économique et ethnique qui a ravagé plus de trois générations. Des vies brisées qui ont cherché cette République qui protège, cette République qui éduque, cette République qui affranchit les hommes et les femmes de leurs conditions élémentaires. Mais force est de constater que ce qu’ils ont trouvé ne ressemblait en rien aux valeurs que nous défendons. […]
Ces hommes et ces femmes ont été durement confrontés au chômage de masse (en moyenne deux à trois fois plus concentré dans les quartiers populaires), aux inégalités scolaires, aux conditions de logement indécentes, à relégation sociale, à la marginalisation économique, à la normalisation de la parole raciste en politique comme dans les médias, à l’instrumentalisation de l’Islam, à la stigmatisation de l’immigration, ou encore au mépris le plus brutal qui les accusaient sournoisement d’être responsables de presque tous les maux de la société. Une société spectacle qui provoquait en nous une immense colère.
Cette rage grandissante s’était transformée en 2005 en émeutes. […]
Lorsque des personnes sont assignées à résidence, parce que Noirs ou Arabes, dans des quartiers-ghettos, c’est la liberté qui renonce et s’en va. Lorsque nos écoles deviennent des mouroirs éducatifs, où même les miraculés du système sont relégués dans les caves de la société, au « chomdu », sans emploi ou occupant des postes qui ne correspondent en rien à leur niveau de qualification, c’est l’égalité qui renonce et s’en va.
Lorsque les petits vendeurs de « shit », en bas des tours, ont plus de prégnance économique que les entreprises, qui ne regardent plus nos jeunes, c’est la fraternité qui renonce et s’en va. […]
Lorsque la drogue et les armes détruisent nos enfants, alimentent les conflits de voisinage, imposent aux familles de se claquemurer chez elles, délimitent des territoires, organisent une économie parallèle, accompagnent l’insertion sociale des plus jeunes, et obligent les habitants jugés trop encombrants à quitter leurs lieux de résidence, c’est la sécurité qui renonce et s’en va.
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