Fdesouche

Le constructeur automobile japonais remet les ouvriers au premier plan dans l’une de ses usines, pourtant très automatisées. Le signe d’une lutte homme-machine ou d’une nouvelle forme de collaboration? Le philosophe de la technique Gilbert Simondon y avait déjà réfléchi.

Que se passe-t-il dans l’univers fortement mécanisé de la construction automobile? Au Japon, bastion de la haute technologie, pays le plus automatisé du monde après la Corée du Sud, la firme Toyota remplace depuis peu les robots… par des hommes. Le mouvement est encore modeste. Il concerne, dans une usine, une centaine de postes de travail. Mais il semble soutenu par le président de Toyota, Akio Toyoda, arrière-petit-fils du fondateur. Selon Mitsuru Kawai, vétéran du toyotisme qui pilote ce projet, il faut “revenir à l’essentiel, améliorer les compétences manuelles”. En effet, “Toyota considère les personnes qui travaillent dans cette usine comme des artisans qui doivent continuer à affiner leur art et leur niveau de compétence”.

Comment expliquer ce revirement ? Les machines automatiques ne sont-elles pas plus fiables et plus rapides que les hommes? Justement non, répond le philosophe de la technique Gilbert Simondon (1924-1989). Dans son ouvrage Du Mode d’existence des objets techniques (1958), il explique que nous avons une vision fausse de la machine lorsque nous considérons qu’elle est d’autant plus efficace qu’elle est automatique et fonctionne sans l’aide des hommes.

D’après Simondon, “l’automatisme est un assez bas degré de perfection. Pour rendre une machine automatique, il faut sacrifier bien des possibilités de fonctionnement. […] Le véritable perfectionnement des machines, celui dont on peut dire qu’il élève le degré de technicité, correspond non pas à un accroissement de l’automatisme, mais, au contraire, au fait que le fonctionnement d’une machine recèle une certaine marge d’indétermination. C’est celle-ci qui permet à la machine d’être sensible à une information extérieure”.

L’idée suivant laquelle le sens du progrès voudrait que les robots remplacent les hommes est un pur fantasme -et les techniciens le savent parfaitement. Il est donc tout à fait plausible que la collaboration des hommes et des machines pour la construction des automobiles soit plus opérante que l’action de “robots” seuls. D’ailleurs, selon Mitsuru Kawai, le repeuplement des ateliers par des hommes a permis d’améliorer la production de certaines pièces, de baisser le taux de gaspillage d’autres, de raccourcir des chaînes de montage.

Bref, il ne s’agit pas de promouvoir un quelconque humanisme contre les machines. Simondon déplore la technophobie contemporaine et dénonce l’attitude de mépris vis-à-vis de la technique: “La culture est déséquilibrée parce qu’elle reconnaît certains objets, comme l’objet esthétique, et leur accorde droit de cité dans le monde des significations, tandis qu’elle refoule d’autres objets, et en particulier les objets techniques, dans le monde sans structure de ce qui ne possède pas de significations, mais seulement un usage, une fonction utile.” Du coup, elle se perd dans une opposition sans fondement entre les machines et les hommes.

Le véritable humanisme consiste à reconnaître l’homme comme créateur, chef d’orchestre et acteur d’un milieu technique. Bref, Toyota ne cède pas à une crise de nostalgie. L’entreprise japonaise comprend simplement que la technique poussée à son stade ultime insère pleinement ces machines souples et polyvalentes que sont les hommes.

LE HUFFINGTON POST

Fdesouche sur les réseaux sociaux