INTERWIEW / Cécile Kyenge n’est plus ministre de l’Intégration en Italie depuis février 2014. Mais elle n’a pas mis fin à son engagement politique. En tant que députée européenne, elle reste très impliquée dans les dossiers concernant l’asile et l’immigration. Elle garde également un œil avisé sur l’Afrique depuis le Parlement européen, où elle a reçu “Jeune Afrique”. (…)
Plus offensive, la députée européenne se bat toujours afin que son continent d’adoption trouve une solution à l’afflux de migrants venus des pays du Sud. Au Parlement européen, elle s’est notamment fait l’ambassadrice d’une approche prenant en compte le sauvetage des centaines de milliers de personnes tentant d’accoster aux frontières de son continent d’adoption. (…)
Quelque 200 000 migrants ont fait naufrage sur les côtes d’Italie en 2014. Face à ce phénomène, que peut faire l’Europe ?
Cécile Kyenge : L’approche que l’Europe utilise aujourd’hui doit être rediscutée. Jusqu’à présent, elle était centrée sur le volet sécuritaire. Mais nous devons absolument prendre en compte la question du sauvetage de la vie humaine. C’est le sens de la résolution que le Parlement a votée en janvier. Le problème est également financier. Le projet Mare Nostrum, qui avait permis de sauver en mer environ 170 000 migrants, avait été mis en place par la seule Italie pour 9 millions d’euros par mois. Depuis le 1er novembre 2014, il a été remplacé par le programme Triton, qui n’investit que 3 millions d’euros, alors que 19 pays y participent.
Est-ce uniquement un manque de moyens financiers ou l’Europe paie-t-elle également la faiblesse de sa politique étrangère commune ?
(…) L’Union européenne doit également établir la capacité d’accueil de chaque État-membre par rapport à ses revenus.
“La gauche ne doit pas avoir peur d’aborder les thèmes liés à l’immigration et la sécurité. Il faut ouvrir les frontières, ne pas remettre en cause l’espace Schengen et investir sur l’intégration.”
Quelle réaction auriez-vous si les Français portaient le Front national au pouvoir en 2017 ?
Ce serait terrible. Je crois que les Français vont tout faire pour que cela n’arrive pas mais Marine Le Pen est très rusée. Elle n’utilise pas le même langage que les responsables de la Ligue du Nord, en Italie, qui sont brutaux. Mais la base est toujours la même : “il faut fermer les frontières”. C’est là-dessus qu’il faut critiquer le projet du Front national et de tous les autres populismes.
“Au contraire, l’Europe a besoin de les ouvrir encore plus du point de vue économique, démographique, social… Elle a évité le déclin démographique grâce à l’immigration. Une culture refermée sur soi-même est condamnée à l’extinction.”
Marine Le Pen a déclaré récemment au Parlement européen que les filières d’immigration pourraient être infiltrées par des réseaux terroristes. Qu’en pensez-vous ?
Cette analyse est vraiment de très bas niveau. Le danger n’est pas l’origine de la personne, c’est la violence, c’est la haine. Beaucoup de personnes en Europe n’ont jamais mis les pieds dans un pays étranger et se sont pourtant converties à la cause terroriste. (…)
Vous étiez le dimanche 11 janvier à Paris pour la marche en soutien aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo. Pourquoi y avoir participé ?
J’étais à Paris pour dire : “On ne peut pas utiliser la violence pour éliminer la liberté d’expression”. Ceci dit, je n’étais pas d’accord avec toutes les caricatures de Charlie Hebdo. Il y a des limites, là où commence le respect envers les autres. Si on veut construire une société où les diversités apprennent à se respecter et à vivre ensemble, il faut qu’on trouve une ligne rouge à ne pas dépasser. J’ai été très attaquée lorsque j’étais au gouvernement italien. Cela avait dérapé et j’avais essayé de lancer un débat sur les limites à ne pas franchir. C’est important qu’on puisse l’avoir aujourd’hui.
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