Alors qu’aujourd’hui, pour l’essentiel, les informations qui transitent sur Internet sont générées par des opérateurs humains, dans un avenir proche, ce sera majoritairement le fait de capteurs et d’objets connectés à des machines ou à des hommes.
« Comme ce fut le cas des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche, les nouvelles générations d’objets connectés devraient être à l’origine de changements majeurs dans les formes culturelles, sociales et politiques de nos sociétés », prévient Bernard Benhamou, ancien délégué interministériel aux usages de l’Internet.
« Jusqu’à récemment, la collecte de données était difficile, chronophage et coûteuse », précise Viktor Mayer-Schönberger, professeur à Oxford. La méthode de l’échantillonnage aléatoire permet encore aujourd’hui d’utiliser une petite partie des informations pour se faire une idée du tout.
Mais elle va paraître de plus en plus inadaptée et désuète au fur et à mesure qu’une alternative s’impose. Grâce au « cloud » et aux objets connectés, les volumes de données disponibles « auraient été multipliés par cent entre 1987 et 2007 », souligne-t-il.
Et depuis, « elles doublent tous les ans ou tous les deux ans. Une augmentation infiniment supérieure à celle provoquée par l’imprimerie, laquelle avait entraîné en gros un doublement des données sur 50 années ».
Le Big Data – terme qui désigne à la fois l’extraordinaire capacité de stockage des données et les calculs et méthodes d’exploitation – est jugé précieux par un nombre croissant d’entreprises, de gouvernements et de personnes dans la mesure où il améliore la prévision des comportements.
C’est ainsi que Google a prédit une épidémie de grippe en s’appuyant seulement sur l’analyse des requêtes envoyées à son moteur de recherche, qu’Amazon a considérablement amélioré ses recommandations de lecture à ses clients, que Rolls-Royce a mieux anticipé le vieillissement de ses moteurs et développé de nouvelles prestations de maintenance aux compagnies aériennes.
Les États, à leur tour, commencent à utiliser ces capacités d’anticipation dans d’innombrables domaines – santé, transport, énergie, police… Cette puissance d’analyse renforcée « va sans doute ébranler notre vision du monde », suggère Viktor Mayer-Schönberger. Et poser de façon plus aiguë la question de la gouvernance d’Internet.
Qui accède aux données? Qui les contrôle? Qui les utilise? Qui exploite leur valeur économique? Qui fixe des limites éthiques et juridiques? Jusqu’à présent, cette gouvernance a été assumée en sous-main par les États-Unis, via des organismes faisant une grande place à une société civile d’experts soucieux de la « neutralité » du Net.
Mais les enjeux économiques, politiques et éthiques pourraient rendre nécessaire l’élaboration d’un nouveau « droit des données » et la création d’instances chargées de le faire respecter.
Extrait de la revue Politique Étrangère, hiver 2014-2015, 23 €.