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Echec, ghettoïsation, recul de la laïcité… “L’Obs” a réuni trois enseignants pour évoquer les maux de l’école, et les solutions pour relever les défis du “vivre ensemble”.
Jean-Pierre Aurières (JPA) est professeur d’histoire-géographie au lycée Paul-Eluard de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) où il a monté un “parcours citoyen” avec ses élèves. Philippe Watrelot(PW) est professeur de sciences économiques et sociales au lycée Jean-Baptiste-Corot, à Savigny-sur-Orge (Essonne), formateur à l’ESPE (Ecole supérieure du Professorat et de l’Education) de Paris, et président des Cahiers pédagogiques. Sophie Audoubert (SA), professeur de lettres classiques, a enseigné 12 ans au collège Elsa-Triolet de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Elle est aujourd’hui en poste au lycée Voltaire à Paris.

La plupart des enseignants font du mieux qu’ils peuvent. Ils sont comme les musiciens du Titanic. Ils continuent à jouer, pendant que le bateau coule (PW).

Ce que les jeunes ressentent avec la ghettoïsation, c’est que nous ne voulons pas vivre avec eux. Du coup, ils sont entre eux. Ajoutez à cela le porte-voix des réseaux sociaux, qui ont un effet d’engrènement, et la cristallisation de ce refus de la communauté nationale prend une proportion apocalyptique. La mixité sociale est la réponse à tous ces problèmes, beaucoup plus que les chants patriotes.

Philippe Watrelot, Jean-Pierre Aurières et Sophie Audoubert.

Les attentats des 7 et 9 janvier dernier, et la non-adhésion de certains élèves à l’émotion nationale ont fait office d’un électrochoc pour l’école… Comment cela s’est-il passé dans vos établissements ?
Jean-Pierre Aurières – Certains de nos élèves font sécession. Ils ne se sentent pas partie prenante de la communauté nationale. J’ai cinq classes, soit 150 élèves. Aucun d’entre eux n’est allé le dimanche 11 janvier à la manifestation. Ils n’étaient pas concernés. Et quand Lilian Thuram (footballeur français ndlr) est venu au lycée rencontrer des élèves quelques temps après, les trois quarts des élèves ont déclaré qu’ils n’étaient pas Charlie.
Philippe Watrelot – On a pu voir quelques tags avec “je suis Kouachi”… Mais il ne faut pas survaloriser ces manifestations. Il faut plutôt se demander pourquoi nos élèves ne se sont pas reconnus dans cette émotion nationale. Et ce n’est certainement pas par l’injonction, en adoptant une posture un peu autoritaire, torse bombé, lever des couleurs et Marseillaise, qu’on va les faire changer.
Y a-t-il des sujets que vous jugez difficiles à aborder dans vos classes ?
PW – Il y a beaucoup eu récemment la question du deux poids deux mesures : pourquoi Dieudonné est condamné quand il se moque des Juifs et pourquoi les caricaturistes ne le sont pas quand ils se moquent de l’islam. Ces questions “vives” peuvent déstabiliser les professeurs, qui n’ont pas été formés à les traiter : la création en SVT, la Shoah, le genre… Il faut que la formation initiale et la formation continue des enseignants les y préparent.
JPA – 90% de mes élèves sont musulmans. Pour eux, clairement, le combat pour la laïcité est dirigé contre l’islam. Ils s’accrochent à la religion parce que c’est la seule chose qui leur permet d’exister, elle est pour eux un marqueur identitaire, associé à des rituels très forts, comme la nourriture halal qu’ils revendiquent de plus en plus depuis trois ou quatre ans.
PW – Ils vivent comme un stigmate de plus le fait qu’on moque leur religion. Ils disent “vous, les Français”, avec un sentiment fort d’être mis à part, de côté. Je vais faire mon professeur de sociologie, mais le retournement du stigmate est un processus bien connu. On en rajoute, pour retrouver de la dignité…
JPA – Dans mon lycée, il y a eu des désordres suite à la mort de Rémy Fraisse. Des élèves s’en sont pris à des voitures sur le boulevard. Je leur ai dit : “Ca ne se fait pas !”, et une fille m’a répondu : “Mais monsieur, on a attaqué que des Français !” Ils avaient laissé passer les couples avec des femmes voilées… […] Nouvel Obs

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