Pour le politologue Olivier Roy, spécialiste de l’islam, il faut “inventer de nouveaux compromis” pour que l’islam s’adapte à notre société.
Tous les compromis que la France a passés avec le judaïsme peuvent fonctionner avec l’islam. Il faut simplement se donner du temps : on ne peut pas demander à l’islam de parcourir en vingt ans un chemin que le catholicisme a parcouru en plus d’un siècle, souvent à reculons.
Considérez-vous qu’il règne, en France, un climat islamophobe ?
Oui, sans aucun doute. Depuis une vingtaine d’années, le simple fait d’être musulman est ¬devenu suspect, voire dangereux. Cette islamophobie mêle un vieux racisme anti-arabe et un phénomène plus nouveau, une sorte de phobie de la religion. Dans une société aussi sécularisée que la nôtre, le religieux est devenu incongru. Parfois, il est même perçu comme fanatique, comme si nous confondions l’intensité du sentiment religieux et la radicalité de sa pratique. Or les musulmans ont une pratique plus forte et plus visible que les catholiques. Leur religiosité surprend et dérange les élites françaises, notamment à gauche : elles pensaient que les descendants des immigrés arrivés dans les années 1960 s’éloigneraient de ¬l’islam. […]
Les pratiques religieuses des musulmans sont-elles contraires à la laïcité ?
Non, c’est une idée fausse. En 1905, lorsque la France a adopté la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, la religion n’a pas été chassée de l’espace public : les processions en l’honneur de la Vierge ont été autorisées et les bonnes sœurs pouvaient se promener en tenue religieuse dans la rue. Lorsque l’abbé Pierre a été élu député, personne ne s’est d’ailleurs offusqué lorsqu’il est venu dans l’Hémicycle en soutane.
Aujourd’hui, le climat a radicalement changé : on veut cantonner le religieux à la sphère privée. Cela ne pose pas de problème aux catholiques puisque leurs pratiques religieuses sont inscrites depuis des siècles dans la vie sociale – les fêtes chrétiennes sont, par exemple, fériées. Il en va très différemment pour les musulmans. Il faut donc inventer de nouveaux compromis, ce qui suscite des tensions. […]
Le Monde