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Emmanuel Debono, historien, rappelle sur son blog que le terme Français de souche était utilisé par les mouvements antiracistes sans faires de polémiques.

La labilité de la notion de « souche » en fait nécessairement, dans le contexte ultraréactif actuel, une expression piège. Avec ou sans guillemets, en ajoutant des « comme on dit » ou des « soi-disant », quelle que soit la distance que l’on s’efforce de placer entre soi et l’expression, rien ne semble actuellement empêcher qu’elle soit aujourd’hui ramenée au champ des identités, un champ de mines au cœur de la République.

Le terme « souche » a donc au moins deux acceptions : celle d’une appartenance profonde, d’un enracinement ancestral, qui sous-entend l’existence de racines, et celle d’une installation plus récente dans le pays, par choix, par élection, dans une perspective durable (« faire souche »). Dans les deux cas, l’emploi de « souche » n’a pas de valeur polémique. Dans l’idéal assimilationniste, il est d’abord question de signifier que certains ont été Français avant d’autres, sans que cela ne donne évidemment lieu à davantage de droits pour les premiers. Tout est affaire de temporalité : l’acclimatation, l’adoption de la culture du pays d’accueil doivent garantir, à terme, une souche française à celles et ceux qui s’installent en France. […] Dans un article du Monde, l’historien Nicolas Lebourg parle d’un dilemme auquel se trouverait confrontée la gauche : « Comment nommer le réel ? (…) Faut-il investir le vocabulaire de l’adversaire pour toucher les masses ? » […] Différences, le magazine du MRAP (devenu Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), dresse en mai 1985 une typologie des immigrés et mentionne ceux qui ont la nationalité française « mais pas toujours en fait les mêmes droits que les Français “de souche”». L’apposition de guillemets n’a rien de systématique. En février 1988, un rédacteur du même journal réfute l’accusation de « racisme anti-Français » brandie par le Front national sur la base de faits divers mettant en cause des agresseurs arabes : « Il ne s’est jamais trouvé personne pour appeler au pogrom contre les Français de souche. »

Le mois suivant, un éditorial parle de « deux poids deux mesures » au sujet du traitement par les médias de deux bavures policières : la première, concernant un « jeune Beur », n’a pas fait grand bruit : la seconde frappant un « Français de souche » – sans guillemets dans le texte original – a fait la une des journaux. En octobre 1988, un dossier consacré aux enfants d’immigrés utilise également l’expression « Français de souche », sans davantage de guillemets, pour les comparer aux autres enfants. En 1990, l’auteur d’une analyse sur le succès du Front national à Dreux (Eure) constate une hostilité croissante à l’égard des immigrés : « Les Français de souche qui souhaitent obtenir une aide sociale se plaignent de passer leur file d’attente en compagnie de nombreux étrangers. »
Il est intéressant de voir à travers ces quelques exemples que l’expression, polysémique, avant de faire l’objet d’une appropriation par la droite nationale populiste et la mouvance identitaire, a pu connaître des formes d’existence légitimées par les militants antiracistes eux-mêmes. Ils en ont été les vecteurs, parmi d’autres, parce que l’on s’accordait globalement sur son sens, même vague, jusqu’à la fin des années 1980.
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