Les chiffres sont vertigineux : la criminalité environnementale représente près de 190 milliards d’euros par an. Un marché juteux, et peu risqué pour les trafiquants. Mais la situation pourrait bien changer, notamment grâce aux actions d’Interpol et aux 35 propositions faites par un groupe de juristes internationaux pour lutter contre ce genre de criminalité.
Dans le classement mondial des activités illicites, la criminalité environnementale arrive au 4ème rang, après les stupéfiants, la contrefaçon et le trafic des êtres humains, mais devant le trafic de produits pétroliers, d’œuvres d’art, ou encore le trafic d’armes.
Au total, ce type de criminalité rapporterait entre 70 et 213 milliards de dollars par an (187 milliards d’euros), selon un rapport publié par Interpol et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en 2014.
Ce qui rapporte le plus ? Le bois : le trafic illégal des grumes est en effet estimé entre 30 et 100 milliards de dollars. Viennent ensuite les minerais (12 à 48 milliards de dollars), la faune (7 à 23 milliards), la pêche (11 à 30 milliards) et enfin les déchets (10 à 12 milliards).
Le business est donc florissant, et la criminalité environnementale est en hausse partout dans le monde. En France notamment, ʺles infractions relatives à la faune sauvage ont augmenté de 40% entre 2011 et 2013ʺ, précise Laurent Neyret, professeur de droit et auteur du rapport “Des écocrimes à l’écocide” remis début février à la garde des Sceaux. La raison en est simple : ʺLes profits engendrés par les crimes environnementaux sont très élevés, tandis que les poursuites en la matière sont rares et les sanctions légèresʺ, explique le juriste.
Le cas symptomatique de l’écomafia napolitaine
Le cas d’école, c’est la région de Naples : “Les décharges publiques sont saturées et les compagnies de ramassage des déchets sont aux mains de la Camorra (la mafia napolitaine, NDLR)ʺ, explique Fabrice Rizzoli, auteur du “Petit dictionnaire énervé de la mafia”.
Entre 1997 et 2002, l’écomafia italienne a brassé des tonnes de déchets, pour une valeur de 70 milliards d’euros. Aujourd’hui encore, le trafic fait florès. En 2013, l’association italienne Legambiente recensait 29 000 infractions. ʺAvant 2000, une seule politique était appliquée en Italie : la mise en décharge. Puis plusieurs décrets ont obligé les industriels à traiter leurs déchets. Seulement, ils n’étaient pas prêts à assumer ce surcoût” précise Fabrice Rizzoli.
Un quart des déchets toxiques provenant du Nord de l’Italie ont alors disparu dans les décharges sauvages autour de Naples grâce à la mafia locale, exposant ainsi les populations à la pollution.
La criminalité environnementale, nouvelle priorité d’Interpol
Pour mettre fin à ce fléau, ʺil est important de considérer ces crimes environnementaux comme des crimes à part entière, ayant des conséquences sur la santé, l’économie et l’environnement, et donc de mener une véritable enquête ʺ, estime Ioana Botezatu, officier d’Interpol.
Dans les bureaux lyonnais de l’agence de coopération policière internationale, une quarantaine de personnes traque les trafiquants : appels à témoin, coopération internationale renforcée, Interpol ne lésine pas sur les moyens. ʺIl existe une différence entre le trafic illégal de bois ou de pêche, qui se fait à une échelle industrielle et la contrebande de défenses en ivoire ou de la peau de tigre. Les moyens pour lutter contre ces différents types de crimes doivent être adaptésʺ, explique l’officier d’Interpol.
35 propositions pour lutter contre les écocrimes
Seulement, aujourd’hui, ʺla criminalité environnementale est mal identifiée et mal traitée juridiquementʺ, précise Laurent Neyret. Pendant 3 ans, le professeur de droit a donc présidé un groupe de 16 juristes internationaux pour aboutir à 35 propositions visant à mieux sanctionner les crimes contre l’environnement. ʺLa technicité du sujet, le manque de connaissance quant à l’état de la criminalité, ajouté au fait que le code de l’environnement est compliqué, font que les poursuites sont rares”, souligne-t-il.
Deux des 35 propositions concernent plus spécifiquement les entreprises. La première correspond à un renforcement des sanctions pour les groupes internationaux qui, grâce à de nombreux intermédiaires, arrivent à cacher des pratiques destructrices de l’environnement (comme l’extraction d’étain en Indonésie par exemple). Les juristes proposent d’accroître les peines encourues par les entreprises à haut taux de rentabilité, à hauteur de 10% du chiffre d’affaires annuel. ʺCe sont des fautes lucratives. Il faut donc porter atteinte à la rentabilitéʺ, précise Laurent Neyret.
Autre proposition : établir des lignes directrices pour ʺune justice restauratrice en matière de criminalité environnementaleʺ, grâce à la mise en place d’un fonds d’indemnisation pour l’environnement, qui viendrait en aide aux populations lésées. Le juriste envisage également la mise en place d’une Cour internationale pénale environnementale jugeant les écocides – c’est-à-dire la dégradation et destruction d’écosystèmes – et propose de nommer un procureur international de l’environnement.
Suite à la remise du rapport, la ministre française de la justice a annoncé qu’elle entendait bien présenter un projet de loi sur le préjudice écologique ce semestre, une initiative dans les cartons depuis plusieurs années.