Le projet de loi sur le renseignement présenté par le Premier ministre Manuel Valls prévoit le recueil de renseignements pour des prétextes extrêmement variés, allant de la “prévention du terrorisme” à la défense de “l’exécution des engagements européens […] de la France”. Au nom de ces impératifs “sécuritaires”, la DGSI et certaines agences des ministères de l’Economie, de la Défense et de l’Intérieur, seront en mesure de collecter des méta données, d’intercepter des télécommunications, de surveiller des lieux privés, de localiser des véhicules, ou encore d’accéder aux données des sociétés de transports.
Cet arsenal de mesures fait craindre des dérives. En particulier, en permettant le recueil des méta données et des contenus des correspondances, le projet de loi donne aux services la possibilité de découvrir aisément avec qui les journalistes communiquent.
Ils seront aussi en capacité d’intercepter le contenu de leurs communications, en se substituant aux antennes relais des opérateurs (IMSI catcher), ou en accédant aux messageries électroniques, notamment via l’installation de logiciels espions. Là encore, si le texte était adopté en l’état, les services pourraient aisément connaître l’identité des interlocuteurs des journalistes et le contenu de leurs échanges.
Au-delà des personnes suspectées, le projet de loi permettrait la surveillance de personnes pouvant jouer un rôle “d’intermédiaire” dans la violation de la loi, qu’il soit “volontaire ou non”. Des dispositions qui exempteraient les services de justifier la présence d’un journaliste dans une demande de recueil de renseignement faite au Premier ministre.
“Reporters sans frontières demande que le texte garantisse aux journalistes de pouvoir travailler sans être surveillés, sous peine de constituer une grave entrave à la liberté de l’information,” explique Christophe Deloire, secrétaire général de RSF.
“Le gouvernement doit rétablir une protection du secret des sources en réintroduisant le juge dans la procédure. Il est essentiel que soit prévue une “exception journalistique” au régime de surveillance prévu dans le projet de loi.”
Dans son rapport sur la surveillance de 2013 évoquant l’utilisation des données personnelles et le respect de la vie privée, Frank La Rue, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression aux Nations unies, estimait que dans le cas des journalistes ou de leurs sources, l’effet de la surveillance de leurs communications se révélait désastreux (paragraphes 26 et 52).
La Rue soulignait l’absolue nécessité d’un contrôle judiciaire des pratiques de surveillance, notamment lors de la collecte et la conservation de données (paragraphe 54). Aucune intervention d’un juge judiciaire, garant des libertés individuelles, n’est prévue dans le projet de loi sur le renseignement. Il n’existe de fait dans le projet de loi actuel aucune garantie pour faire respecter les droits fondamentaux des individus.
Enfin, le projet de loi permet aux services de renseignement de mettre en oeuvre des techniques jusque là dévolues à la police judiciaire (la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ou de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ; la captation, la transmission et l’enregistrement de données informatiques ; la localisation en temps réel d’une personne, d’un véhicule ou d’un objet).
Ces mesures, dans le code pénal, sont accompagnées de garanties particulières pour certaines personnes protégées en raison de leur statut, notamment les journalistes. Or, comme le relève la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans un avis du 5 mars, il n’est prévu dans le projet aucune disposition particulière pour ces professions protégées, ou pour les journalistes en particulier.