Pas facile de s’appeler Kevin… C’est justement le prénom lourd à porter du héros du nouveau roman de Iegor Gran, intitulé La Revanche de Kevin (éd. P.O.L). Le protagoniste, qui travaille à la radio, lit Le Monde et flâne dans les salons littéraires, fait l’objet de moqueries incessantes depuis la petite enfance. En cause, le mauvais goût de ses parents qui ont choisi de l’affubler de ce prénom “de beauf”. Véritable marqueur social des années “boys band” donné à pas moins de 14 087 bébés nés en France en 1991, “Kevin” ne jouit plus aujourd’hui de la même notoriété. Et bien que le personnage éponyme évolue dans un milieu intellectuel, son prénom l’empêche d’être considéré en tant que tel.
“Un Kevin ne peut pas, n’a pas le droit d’être un intellectuel, se lamente-t-il. Il peut être prof de muscu, vendeur d’imprimantes, gérant de supérette. Mais intellectuel, impossible.” S’appeler Kevin est perçu comme le signe d’une extraction bassement populaire : “Connais tes limites, Kevin !… Tu ne dépasseras jamais le mollet.”
(…) Pour le sociologue Baptiste Coulmont, auteur de Sociologie des prénoms (éd. La Découverte), ces attributs choisis pour nous par nos parents peuvent constituer de véritables indicateurs de position sociale. Joint par Lepoint.fr, il explique que le prénom Kevin a surtout été donné dans les années 1990 à des enfants issus de classes populaires, influencées par les séries américaines. Après les “Dylan”, enfants des fans de la série Beverly Hills, le boys band des BackStreet Boys lance la vague des “Kevin”. Idem pour “Jessica” ou “Cindy”. Souvent mal perçus par les classes supérieures, ces prénoms suscitent de manière générale le mépris des milieux sociaux qui privilégient les prénoms ayant fait leurs preuves au détriment de la rareté. Les “Thomas”, “Camille” et autre “Léa”, en somme.
“Il y a une lecture sociale des prénoms” résume le chercheur au CRESPPA. “En réalité, Kevin souffre lorsqu’il est confronté à la classe intellectuelle parisienne.”