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En apparence, le pays va bien, porté par le rebond de la croissance et le recul du chômage sous la barre des 6%. Mais la réalité est tout autre : c’est l’endettement des ménages, le recul du taux d’épargne et un déficit public très élevé qui soutiennent cette croissance alors que les forces structurelles du pays n’ont cessé de décliner estime Jean-Luc Buchalet, PDG de Pythagore Consult et membre du Cercle des analystes indépendants.

Les bonnes performances réalisées par l’économie britannique poussent un certain nombre d’observateurs à extrapoler cette croissance pour les années à venir. Durement frappée pendant la crise entre 2008 et 2012, la Grande Bretagne a depuis renoué avec une croissance forte de 2.6% en 2014, la plus forte des pays du G7. Ce retour vers une croissance soutenue a été récemment salué par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le taux de chômage est repassé sous la barre des 6% de la population active, rapprochant inexorablement le pays du plein emploi. Ces bons chiffres ne cachent-ils pas une situation beaucoup moins favorable qu’il n’y parait a priori ?

L’économie britannique repose toujours sur les mêmes moteurs, la consommation des ménages  (revenue à quelques encablures de son niveau d’avant crise) et sur  la consommation publique (21% du PIB en progression de +5% par rapport à son niveau d’avant crise).

A l’inverse, l’investissement est tombé à un niveau particulièrement bas en dépit d’un coût de l’argent maintenu historiquement bas par la Banque Centrale d’Angleterre : à peine 16% du PIB contre 22% en France. Les investissements des entreprises et en logement sont en baisse respectivement de 19.2% et 17.2% en deçà de leur niveau d’avant crise… Nous sommes donc loin d’observer le retour d’une croissance saine tirée par une politique de l’offre efficace.

Le faible investissement dans le secteur privé a été aggravé par un accès au crédit bancaire plus difficile pour les PME. Ce rebond de l’activité aurait dû entraîner celui de la productivité du travail qui stagne depuis 2008 et reste exceptionnellement faible depuis le début de la crise.  La productivité est l’un des principaux moteurs de la croissance structurelle à long terme. Cette évolution résulte probablement d’une flexibilité salariale particulièrement élevée qui incite les entreprises à substituer le travail au capital.

Les contrats zéro-heure permettent même aux employeurs de ne garantir aucun temps de travail minimum à leurs employés. La main-d’œuvre coûte moins cher qu’auparavant : les salaires réels des Britanniques n’ont pas arrêté de reculer entre 2008 et 2014. La progression de l’emploi s’est concentrée sur les personnes les moins qualifiées et donc les moins productives.

Ainsi, loin d’être alimentée par l’augmentation des salaires (absence d’augmentation de la masse salariale distribuée), les dépenses de consommation qui ont tiré la croissance, ont été permises par la hausse de l’endettement des ménages et surtout par le recul de leur taux d’épargne qui a reculé de -3.5 points selon une dynamique similaire à celle d’avant crise…

Avec une consommation des ménages pesant près de 65% du PIB du pays, vous obtenez ainsi un puissant moteur de croissance. La part de la consommation des ménages dans le PIB du Royaume-Uni a augmenté considérablement (+4 points de PIB depuis le premier trimestre 2008). Au total, la croissance potentielle (calculée comme la somme des gains de productivité et de la croissance démographique) du Royaume-Uni, dont le profil démographique est légèrement plus porteur que des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, plafonnera entre +1% et +1.5%, soit un niveau bien plus faible que par le passé.

L’indice de confiance des ménages s’est récemment envolé pour retrouver quasiment son niveau d’avant crise. Ce résultat est le fruit d’une politique ayant poussé les prix des actifs financiers (les actions) et non financiers (immobilier) vers le haut.

On constate bien une très bonne corrélation entre la richesse créée au Royaume- Uni (le PIB) et les performances boursières et immobilières avec un trimestre d’écart. Les problèmes du Royaume-Uni paraissent de plus en plus structurels : d’une part, le pays affiche un déficit public plus conséquent que tous les pays européens (-5.4% en 2014 contre -3% en moyenne pour l’Union européenne) inquiétant compte tenu de la forte croissance de l’activité.

Les rentrées fiscales restent désespérément faibles du fait du modèle « low cost » adopté par le pays. D’autre part sa balance commerciale présente un déficit extérieur chronique en moyenne de 2.1% du PIB, s’expliquant par la perte de certains avantages comparatifs traditionnels (notamment dans le secteur des services financiers) qui dopaient auparavant la croissance du pays.

Le pays ne pourra plus vivre très longtemps avec une épargne en baisse et une dette des ménages si élevée (135% du revenu disponible brut).

Le bilan des banques anglaises s’élève à 437% du PIB au deuxième trimestre 2014. Il figure donc parmi les plus élevés d’Europe. Il faut toutefois noter le chemin parcouru depuis janvier 2011, où il atteignait 555% du PIB. Malgré cette baisse, les marges de manœuvre restent trop ténues pour imaginer une augmentation forte des bilans bancaires via une reprise forte de la distribution de crédits.

Le  Royaume-Uni  a  été  le  pionnier  du  phénomène  de  tertiarisation  des  économies  des  pays  riches  :  le secteur des services pèse aujourd’hui pour 77.8% du PIB, ce qui explique aussi la faible productivité. Conséquences : les capacités de production sont très faibles, et le pays produit de moins en moins de biens à exporter. La valeur ajoutée du secteur manufacturier s’est effondrée en passant de 18.7% en 1997 à 9.7% aujourd’hui.

Le poids des exportations anglaises dans les exportations mondiales ont considérablement diminué depuis 1997 passant de plus de 5% à moins de 2.9% aujourd’hui (3.1% pour la France). Parmi les 100 entreprises et organismes les plus innovants dans le monde, la Grande Bretagne n’arrive pas à placer une seule entreprise alors que la France arrive en troisième position avec 7 entreprises derrière le Japon (39) et les Etats-Unis (35). Même constat pour la demande de brevet des entreprises britanniques en Europe qui arrive seulement en 9e position avec un médiocre 2% du total, très loin derrière l’Allemagne avec 11% et la France 5%.

La cure d’austérité imposée au pays, sans pour autant réduire suffisamment le déficit public, a surtout fragilisé une partie de la population et creusé les inégalités entre les ménages les moins aisés et la classe moyenne. Le rapport entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres est de 1 à 10, et la pauvreté frappe plus les Britanniques que les Français et les Allemands.

Le bilan est donc loin d’être élogieux mais les britanniques sont plus doués que d’autres pays pour faire ressortir leurs forces et gérer leur image. Au final, le pays dispose aujourd’hui de très faibles marges de manœuvre : les autorités, n’ayant pas atteint leur objectif de réduction du déficit, vont devoir poursuivre la cure, mais cette fois dans un contexte de sortie de politique monétaire et de fragilisation déjà forte de la consommation qui est le pilier actuel de la croissance.

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