La sociologue Nilüfer Göle, née à Ankara, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a enquêté pendant quatre ans dans 21 villes européennes sur les «musulmans ordinaires», ceux dont on ne parle jamais et qui cherchent à conjuguer leur singularité islamique avec la culture majoritaire de leur pays d’accueil. Minarets, voile, halal… les controverses sont communes à tous les pays européens. Dans un contexte de crispations identitaires, comment les dépasser et trouver un compromis entre respect des valeurs «européennes» et pratiques religieuses ?
Porter un foulard, demander la construction d’une mosquée, consommer halal, c’est manifester sa présence en public, c’est être acteur, citoyen de la société. Dans la phase de la post-immigration, les citoyens musulmans veulent se sentir chez eux, parce que maintenant, c’est chez eux.
Les «musulmans ordinaires», c’est une notion plurielle et même un défi sociologique, car cette catégorie n’existe pas comme une unité. […] Pour la majorité d’entre eux, vivre sa foi au quotidien dans le contexte européen implique de s’accommoder aux lois séculières, mais aussi de réexaminer les prescriptions islamiques. Le qualitatif «ordinaire» n’évoque pas le fait d’être invisible et passif, l’expression de la foi comme se voiler ou faire la prière est une forme d’action qui peut être soit intériorisée, soit publique. Ils sont les plus intégrés car ils maîtrisent la langue, ont un emploi et connaissent les codes de leur pays. Mais, en voulant vivre leur religiosité, ils deviennent visibles au lieu de se fondre dans la société majoritaire.
Ce sont donc eux qui créent des controverses à propos du voile ou des lieux de prière ?
Les controverses sont perçues comme des phénomènes médiatiques alors qu’elles correspondent à des événements précis, se déroulant dans des lieux spécifiques, impliquant à la fois des citoyens musulmans et non-musulmans. Elles surgissent quand les musulmans demandent la possibilité de suivre les prescriptions islamiques, comme travailler ou étudier avec le voile. Ces tensions sont des moments où se pose la question du lien social entre musulmans et non-musulmans, autre que celui fondé sur la destruction, la violence, le déni ou la stigmatisation. C’est le fameux «vivre ensemble». […]
Comment faciliter la rencontre entre musulmans et non-musulmans ?
Les jihadistes, comme les islamophobes, sont des puristes qui combattent le processus de métissage culturel qui est à l’œuvre, ils sabotent donc la vie en commun. […]