Dans les banlieues apparaissent des femmes dont on n’aperçoit même plus les yeux. Un phénomène qui dérange au pays de la laïcité.
Mon boulanger était habitué à me voir en débardeur moulant quand je m’arrêtais, après mon jogging, pour acheter une boisson énergétique », dit Fatiha, 29 ans. Elle affirme qu’il a été heureux de la découvrir, un matin, intégralement voilée. « C’est un bon musulman », précise-t-elle. […]
Fatiha, qui vit à côté d’un commissariat, n’a jamais été verbalisée. Ailleurs, d’autres l’ont été plusieurs fois. La prudence règne. Personne n’a oublié qu’à Trappes, en juillet 2013, de violentes échauffourées avaient suivi le refus de Cassandra Belin, une femme intégralement voilée, de se soumettre à un contrôle d’identité…
Ce serait pourtant une erreur de ne pas voir que le voile intégral fait débat, au sein même de la « communauté ». Beaucoup prétendent qu’il n’a pas sa place en France. Ainsi cette étudiante en biologie, couverte du hidjab, qui confie : « Le niqab me dérange, mais je respecte. » Au nom de ce même respect, personne non plus pour dire que le voile intégral est la face apparente de la radicalisation. La partie émergée de l’iceberg.
Ces converties, qui ont choisi la clôture au cœur des villes, confient toutes que, entre la loi et les recommandations religieuses, elles ont choisi. Mais elles prétendent ne pas faire de politique. « Cette prédominance de la religion sur la citoyenneté est le résultat du travail des Frères musulmans, affirme la journaliste libanaise Nahida Nakad, auteure de “Derrière le voile”. Ce sont eux qui expliquent que tout musulman appartient d’abord à la Oumma, la nation musulmane. A travers le Conseil du culte musulman, leur place a été institutionnalisée en France. » […]
Si la plupart des terroristes se réclament du salafisme, tous les salafistes ne sont pas des terroristes. Certains ne font même pas de militantisme. « On peut néanmoins considérer qu’une femme intégralement voilée a plus de risques qu’une autre de partir pour la Syrie », soutient Nahida Nakad. C’est d’une de ces cités de Trappes où sévit l’« apartheid social », comme dit le Premier ministre, que quatre jeunes sont récemment partis pour le djihad (ils seraient deux cents, dans l’ensemble de la commune, sur le point de les rejoindre)… C’est là, aussi, que les femmes voilées ont peu à peu remplacé les autres, toutes les autres. […]
Elles s’étaient reconnues, ce qui était pourtant difficile : l’une avait les yeux dissimulés derrière le tissu, l’autre portait des lunettes de soleil par-dessus la fente habituelle. L’une est née catholique, l’autre musulmane, mais, à leur manière, toutes deux – Laure*, la trentaine, d’origine française, mariée, trois enfants, et Sofia*, la cinquantaine, d’origine maghrébine, une fille, divorcée – sont des converties. […] Il y a douze ans, en cachette de ses parents, elle a fait seule son premier ramadan. Une révélation qui lui a fait instantanément décider de changer de religion. Peu de temps après, elle épousait Etienne, musulman lui aussi.
[…] Laure se souvient d’avoir été contrôlée, juste une fois, après la promulgation de la loi. « Je ne suis pas une voleuse, je ne fais de mal à personne, pourquoi une amende ? » Elles confient fièrement qu’elles se maquillent, mais chez elles… pour ceux qui y ont droit. « A la maison, on est comme vous ! »
Aucune des deux ne travaille. Et pour leurs filles, de quoi rêvent-elles ? Dans une ruelle de la cité du Bois de l’Etang, à la Verrière, nous avons vu une gamine au corps enseveli sous le voile noir. Qu’y avait-il de plus étrange ? Qu’elle ait été vêtue de ce voile ou qu’elle ait tenté de jouer au foot ? Ses pieds se sont pris dans la longue robe et elle a manqué chuter. Elle n’avait pas 8 ans.
* Les prénoms ont été changés.
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