Avec le retour du beau temps en Méditerranée, les départs s’intensifient et les drames en mer se multiplient. Le chaos qui règne le long de la côte de la Tripolitaine, où se concentre l’essentiel des départs de puis l’Afrique du Nord, expose de manière crue le défi migratoire que pose désormais à l’Europe une Libye à l’Etat failli.
Après des chiffres records en 2014 – autour de 170 000 arrivées en Italie –, la courbe s’envole depuis le début de l’année. « Avec le beau temps, on dénombre en ce moment entre 300 et 700 migrants qui quittent la Libye par jour», estime un officier de renseignement de la coalition de milices qui contrôle Misrata.
Dans ce contexte, la crainte de voir des groupes djihadistes faire la jonction avec les réseaux de passeurs n’est plus une simple hypothèse. Elle alarme de plus en plus les Européens. A Misrata, un officier de renseignement n’écarte pas cette perspective, même s’il n’est pas en mesure d’en fournir des indications tangibles. «Il y a une stratégie des djihadistes d’utiliser les migrants pour déstabiliser l’Europe, croit-il savoir. Ils travaillent sur le long terme. »
Les lieux de la Tripolitaine d’où les esquifs précaires prennent la mer sont connus : Zouara, Sabratha, Zaouïa, Garabulli, Al-Khoms, Zliten, points d’aboutissements des routes méridionales traversant le Sahara. Et pour les contrôler, l’administration fantôme d’un pays en guerre ne dresse plus qu’une fiction de barrière. Le lieutenant-colonel Taufik Alskir soupire. […] Pour souligner son impuissance, le lieutenant-colonel Alskir lâche cette abrupte confidence : « Vous voyez, si je prends la mer maintenant, je suis sûr de croiser un ou deux bateaux de migrants.» Mais il ne prend pas si souvent la mer avec ces deux pauvres vedettes pour 600 km. Le chiffre de dix à quinze embarcations de migrants quittant la Tripolitaine par semaine ne lui semble «pas impossible». […] Cette impuissance d’un Etat libyen fracturé a une autre conséquence : elle ouvre de nouveaux espaces aux réseaux criminels prospérant sur le trafic des êtres humains. De l’avis de nombreux observateurs, ces derniers font preuve d’une agressivité inédite. A l’image des milices qui font la loi alentour, ils s’arment pour s’ouvrir des accès à l’écart des principaux axes routiers devenus trop aléatoires. «L’équipement en armes des contrebandiers est un phénomène nouveau depuis un an», note le directeur du centre de détention de Misrata. […] Le Monde