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Peut-on, pendant quelques jours, ne payer qu’en bitcoins ? Un journaliste a tenté l’expérience à Arnhem, une ville néerlandaise particulièrement ouverte à la monnaie numérique.

Calé sur le canapé de ma chambre d’hôtel, à Arnhem, aux Pays-Bas, mon iPad affiche la page de Bistamp.net, une plateforme d’échange de bitcoins. La valeur de la cryptomonnaie est en chute libre. Au petit déjeuner un bitcoin valait plus de 400 dollars mais en une demi-heure il est passé à 383 dollars. L’estomac noué, je file à la réception pour payer ma note. Quand je découvre, plus tard, que le cours est remonté, j’ai l’impression de m’être fait avoir.

Ces fluctuations ne sont peut-être pas dramatiques pour la grande majorité des détenteurs de bitcoins, ni pour les milliards de gens qui n’en ont jamais entendu parler, mais pour moi le problème est bien réel : je me suis engagé à payer en bitcoins une chambre dont le prix était fixé en euros. Arnhem est l’un des endroits du monde qui présente la plus forte concentration de commerçants acceptant le bitcoin. Je m’y suis rendu pour tenter une expérience : un journaliste peut-il se payer un week-end entièrement en bitcoins ?

Mieux encore, peut-il non seulement survivre mais encore se faire plaisir ? Si cette ville de 150.000 habitants située sur le Rhin fait bon accueil aux bitcoins, c’est grâce à Patrick van der Meijde. Cet homme âgé de 36 ans a entendu parler de cette monnaie numérique il y a quelques années. Trouvant le concept intellectuellement intéressant, il a décidé d’en acheter. Il s’est toutefois aperçu que le bitcoin ne servait pas à grand-chose s’il ne pouvait rien acheter avec.
Il a donc mis au point avec deux associés un système de paiement utilisable par les commerçants locaux, via un téléphone ou n’importe quel appareil connecté, et qui leur permet d’accepter les bitcoins mais d’être payés en euros. Van der Meijde a pour le moment convaincu 45 commerces. Huit jours avant de partir, j’ai ouvert un compte chez Circle, une start-up de Boston, pour pouvoir acheter des bitcoins par carte de crédit.
Puis je me suis connecté à CheapAir.com et j’ai acheté un billet d’avion KLM Amsterdam-Munich. A la page paiement, j’ai choisi d’afficher une adresse bitcoin – une série de 25 à 34 chiffres et lettres – pour envoyer mon règlement. Je suis ensuite retourné sur le site de Circle pour acheter des bitcoins mais la transaction a été refusée. J’ai appelé ma banque pour expliquer qu’il ne s’agissait pas d’une fraude et j’ai réessayé. J’ai acheté pour 450 dollars de bitcoins. La transaction a abouti instantanément.
Tout fier de faire partie de l’avenir, je suis allé sur la page paiement de Circle, j’ai entré l’adresse bitcoin de CheapAir et inscrit la somme de 450 dollars. Le site de CheapAir m’a répondu que le montant était faux. Comment ça ? En fait j’avais fait une erreur de débutant : comme le prix du billet d’avion était donné en dollars avec l’équivalent en bitcoins, j’avais entré mon paiement via Circle en dollars.
Est-ce à cause de la volatilité du bitcoin ou du fait qu’il existe plusieurs bourses d’échange et qu’elles correspondent rarement ? Toujours est-il qu’il manquait 1,60 dollar. J’ai passé des coups de fi l. Perplexe, Charlie, de Circle, m’a suggéré de recommencer. Gemma, de CheapAir, était sûre qu’on pouvait régler le problème mais a ajouté : “Notre PDG est le seul à avoir accès au machin bitcoin.
Il s’occuperait de moi dès son retour. Une heure plus tard, j’ai reçu un courriel de confirmation pour mon vol. J’ai rappelé Gemma pour savoir si je lui devais quelque chose. “Ne vous inquiétez pas, a-t-elle répondu. C’est plus simple comme ça.” Je m’attendais un peu à ce qu’Arnhem ait l’air d’un centre high-tech. Mais cela ressemble à n’importe quelle ville européenne typique : quelques églises, des rues piétonnes et de vieux moulins.
Après m’être enregistré à l’hôtel Modez, où le propriétaire me confi e que je serai le premier client à payer en bitcoins (une chose que j’entendrai plusieurs fois au cours du week-end ; à CycleNation, un loueur de vélos, un employé a pris une photo de moi et l’a postée sur Twitter), je vais retrouver van der Meijde dans un bistrot. “En bitcoins ?” demande le barman quand vient le moment de régler l’addition.
Comme plusieurs autres personnes en ville, il connaît le visage de van der Meijde, “le type aux bitcoins”. Le barman affiche un code QR sur son téléphone, van der Meijde le scanne via l’application Mycelium, un portefeuille bitcoin, et le paiement est enregistré. Pendant les deux jours suivants, guidé par une carte disponible sur le site de van der Meijde, je ne dépense que des bitcoins.
Au dîner, je constate que les pourboires en bitcoins sont traités de la même façon que ceux versés par carte de crédit : les serveurs sont payés par de l’argent tiré de la caisse. Le lendemain, dans un restaurant appelé Mo Lon, je scanne un code QR que le propriétaire, un passionné de bitcoins, télécharge sur un grand écran plat fi xé au mur. A Mimint, une épicerie bio, j’achète du chocolat et du dentifrice. Je n’ai rencontré que peu d’obstacles.
Dans une boutique de souvenirs, j’ai dû attendre l’arrivée du propriétaire parce qu’il était le seul à savoir comment se faire payer en bitcoins. Je n’ai essuyé qu’un seul refus, dans un petit restaurant où la jeune femme qui était de service n’en avait jamais entendu parler. “J’ai entendu parler des bitcoins mais je ne crois pas qu’on les prenne, a commenté le cuisinier, qui était assis à une table en attendant les clients. Peut-être que les précédents propriétaires les acceptaient ?
Même si j’ai passé un bon week-end dans l’ensemble, cette escapade a par moments tourné à la corvée. J’ai dû renoncer à quelques sites culturels, comme le parc national De Hoge Veluwe, dont le musée, qui présente des œuvres de Van Gogh, Rodin et Dubuffet, n’accepte pas la monnaie numérique.
Après avoir épuisé la plupart des distractions payables en bitcoins, j’ai passé les dernières heures de ce dimanche pluvieux à me promener. Payer en bitcoins a finalement été facile, et cela ne m’est pas revenu si cher que ça. Mais les possibilités se sont rapidement taries. Et il y a une chose très importante que je n’ai pas pu faire : quitter la ville. Le seul moyen de gagner l’aéroport en payant en bitcoins, c’est de prendre un taxi, ce qui représente une dépense de plusieurs centaines d’euros. de plusieurs centaines d’euros.
En revanche, le billet de train, qui n’est pas réglable en bitcoins, ne coûte que 17,10 euros. Même pour le plus ardent partisan du bitcoin, c’est vite vu. Comme j’étais au courant, j’avais emporté 18 euros. J’ai introduit mes vraies pièces dans le distributeur automatique de billets de la Nederlandse Spoorwegen avec un vague sentiment de culpabilité. Quand les chemins de fer accepteront les bitcoins, on saura que les cryptomonnaies sont vraiment entrées dans les mœurs.
Courrier International

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