« Tu devrais aller voir derrière le commissariat. Il y a un homme qui dort dans sa voiture. On l’aime bien. On essaie de l’aider. Son histoire est incroyable. » Gérard est presque devenu la coqueluche de certains policiers mulhousiens. Cet homme de bientôt 61 ans garde toujours le sourire et apprécie de discuter un peu avec des gens. Mais son histoire n’est pas très drôle.
« Vous savez pourquoi j’ai choisi de m’installer ici ? Ma voiture est au moins en sécurité , lâche-t-il hilare. Vous savez, j’étais fonctionnaire, alors en voir d’autres, comme des policiers, ça me rassure. En plus, il y en a certains qui sont très sympas. »
Sa place de parking, c’est son terrain de camping. Sa voiture, c’est sa demeure… et celle de ses deux chiens. […] Gérard est sans domicile fixe et il mène cette vie de bohème depuis un peu plus de deux ans. Et ne croyez pas que cet homme n’a jamais travaillé.
« J’étais pendant plus de 35 ans à la Caisse régionale d’assurance-maladie d’Ile-de-France (la Cramif), explique-t-il. J’y ai commencé en tant que réparateur de machines à écrire en 1975 ! J’y suis rentré car j’avais un brevet de technicien et j’étais spécialisé dans les machines à écrire suisses Hermes Baby. Un des plus grands fabricants au monde.
Comme il n’y avait plus de machines à écrire, je suis devenu caméraman pour le service audiovisuel de la Cramif en 1995, On faisait des films sur la sécurité et la santé au travail. J’adorais ça. J’ai même fait l’interview d’un très grand patron de la Sécu, un mec sympa, Frédéric Van Roekeghem. »
À cette époque, Gérard vit à Paris. Il n’a ni femme, ni enfant, et profite pleinement de la vie. Mais quand sa maman tombe malade, il décide de la prendre chez lui. « Je suis son seul fils, je n’allais pas la laisser mourir dans un hospice. Alors je me suis occupé d’elle jusqu’à ce qu’elle meure dans mes bras. »
C’est à ce moment-là, en 2005, que Gérard décide de prendre l’air. Et comme il venait d’acheter une vieille petite maison en Italie, au bord du lac de Lugano – « le plus bel endroit du monde… » – il prend une année sabbatique pour s’occuper de cette bâtisse qu’il doit retaper.
« Pendant près d’un an, ça a été génial. Et puis deux mois avant que je revienne, on m’a prévenu que le réalisateur avec qui j’adorais travailler était parti. Et quand je suis revenu au boulot, tout a changé. On m’a foutu direct dans un placard. »
Pendant près de deux ans, Gérard effectue des petites tâches, avant de tout plaquer un jour et d’abandonner son poste. « C’était fin 2009. Je ne supportais plus cette situation. J’avais bossé pendant plus de trente ans pour cette structure et voilà comment on me remerciait. »
Forcément, pas évident, à 56 ans, de retrouver du travail. Gérard s’inscrit donc au chômage et se dit qu’à la fin des deux années durant lesquelles il percevra des indemnités, il pourra presque toucher sa retraite. Il vend sa maison en région parisienne puis part vivre en Italie, en effectuant des allers-retours en France où il continue de louer un appartement. «Petit à petit, j’ai dépensé tout ce que j’avais accumulé. C’était impossible de rester en France. Mais il le fallait car je devais pointer. »
Heureusement, l’heure de la retraite pointe le bout de son nez. Mais quand il monte son dossier, les choses ont changé… « On m’a dit qu’il fallait que j’attende encore deux ans, soupire-t-il. Avec l’arrivée de Hollande au pouvoir, c’était comme ça. Je n’avais quasiment plus d’économies. Alors je suis devenu SDF. Mais attention, je ne bois pas, je ne fume pas. Je fais tout pour mes chiens avec l’Allocation de solidarité spécifique. Cela me permet de me nourrir un peu et de mettre de l’essence dans la voiture. »
Sauf que cette somme ne suffit pas. Et voilà pourquoi Gérard vit, quand il vient en France, dans sa voiture. Et s’il est à Mulhouse, « c’est parce que c’est à 300 km de l’Italie. Je ne connaissais pas avant. C’est sympa. Bon, le 115, c’est une ‘‘balourde’’ (il entend par là pas terrible) pour un vieux comme moi. Surso (le Service d’urgence sociale) ? Ils ne me veulent pas car ils considèrent que je ne suis pas un vrai SDF. J’ai au moins le droit de manger au restaurant du Partage. Par contre, c’est fou : en France, quand on est SDF, on peut manger, mais c’est la croix et la bannière pour se laver. C’est dingue. »
Et le reste du temps, le jeune sexagénaire lit et s’occupe de ses chiens à côté de son « palais ». « Quand il ne pleut pas ça va, je sors mes affaires. Quand il pleut, c’est plus chiant, surtout pour ses chiens Canna et Melzi. »
D’ici quelques jours, Gérard reprendra la route, avant de revenir une dernière fois à Mulhouse, à la fin de l’année. « C’est bon, la galère est bientôt terminée, conclut-il. Fin 2015, je pourrais enfin toucher ma retraite et ma complémentaire. Et à moi la bella vita… »
L’Alsace
(Merci à Horatius)